L'Amour Et Le Temps
où les commissaires allaient dîner à l’auberge, des courriers arrivèrent, déclarant que le Roi devait être près d’Épernay. D’autres assurèrent qu’il avait été suivi par les troupes de Bouillé, qu’elles l’enlèveraient d’un moment à l’autre. « Cela ne m’étonnerait pas, dit Latour-Maubourg. Avec son caractère, Bouillé périra plutôt que d’abandonner le Roi. » Ils prirent juste le temps de manger un morceau sur le pouce et repartirent, croisant sans cesse de nouveaux courriers bénévoles qui clamaient : « Le Roi approche ! » On n’était pas loin d’Épernay, aux dires de Mathieu Dumas, lorsque la rencontre se fit enfin. Le soleil déclinait sur l’horizon. La berline couleur bronze était arrêtée, portières ouvertes, devant une petite ferme au toit verdi, dans un cercle de paysans accourus et de villageois qui suivaient d’un bourg à l’autre. Des gardes nationaux les tenaient à distance. Un jeune officier vint au-devant des commissaires. Ils reconnurent en lui Romeuf, l’aide de camp de La Fayette.
« Ah ! messieurs, je suis heureux de vous voir ! s’écria-t-il. Je n’aurais pas voulu répondre longtemps encore du salut de Leurs Majestés. Nous avons eu bien du souci, hier, à Sainte-Menehoulde où l’on promenait devant Elles la tête d’un noble massacré par les paysans. Tantôt, à Épernay, le Dauphin a failli périr dans une bousculade, la robe de la Reine a été mise en lambeaux.
— Et les troupes de Bouillé ?
— Il n’y en a pas la moindre apparence. On n’a rien entrepris contre nous. De ce côté-là, vous pouvez être tranquilles. »
Romeuf les conduisit au Roi. Pétion s’attendait à voir des personnes raidies dans leur dignité. Il fut surpris. Comme ils se présentaient à la portière pour saluer, des voix féminines, vives et bouleversées, les accueillirent. Ce fut une minute confuse. « Monsieur de Maubourg ! Oh ! Monsieur de Maubourg ! » s’exclamait la Reine, les larmes aux yeux. L’autre dame – Madame Élisabeth, certainement – suppliait : « Ah ! messieurs, de grâce !…» La Reine implora Barnave, proche d’elle à la portière : « Monsieur, qu’aucun malheur n’arrive ! Que ceux qui nous ont accompagnés ne soient pas victimes ! » Madame Élisabeth, plus près de Pétion, lui adressait la même prière, et, le touchant impulsivement au bras :
« Monsieur, je vous l’assure, mon frère n’a point voulu sortir de France.
— Non, messieurs, dit alors vivement le Roi avançant son buste entre les épaules de sa sœur et de sa femme, je ne sortais pas, je l’ai déclaré ; cela est vrai. Il reprit avec plus de calme : J’allais à Montmédy. Mon intention était d’y demeurer jusqu’à ce que j’eusse examiné et accepté librement une nouvelle Constitution. »
Sans en croire un mot, les députés saluèrent. Barnave tira Mathieu Dumas à l’écart. « Si le Roi se souvient de répéter la chose, nous le sauverons », dit-il à voix basse tandis que Latour-Maubourg s’efforçait de rassurer la Reine et que Pétion prononçait quelques paroles apaisantes. Cette scène trop vive ne convenait, selon lui, ni à la gravité des circonstances ni à la majesté de commissaires délégués par l’Assemblée nationale. Aussi rompit-il le colloque pour faire part au Roi, avec un ton un peu pédant, de la mission dont ils étaient chargés. Après quoi, grimpant sur le siège du cocher, il réclama le silence et lut au peuple le décret établissant les pouvoirs des commissaires. Les paysans n’y comprirent rien, mais crièrent de confiance : « Vive l’Assemblée ! » Mathieu Dumas prit alors le commandement des gardes nationaux, qui se relayaient de ville en ville. Le marquis de Latour-Maubourg parlait pendant ce temps à la Reine :
« Madame, nous devons monter dans votre voiture. Tout le monde n’y saurait tenir. Voulez-vous bien me permettre un conseil ? Prenez avec vous MM. Barnave et Pétion, cela les flattera. Ils peuvent vous être fort utiles. M. Barnave est très disposé en faveur du Roi.
— Mais vous, monsieur ?
— J’irai dans la seconde voiture. »
On s’établit donc ainsi : Barnave entre le Roi et la Reine sur la banquette du fond, Pétion en face, entre Madame Élisabeth et M me de Tourzel qui déclara d’un ton résolu qu’elle avait obéi à son devoir en accompagnant les jeunes princes. « On fera de moi tout ce que l’on
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