L'Amour Et Le Temps
trouvant dans son bain, elle priait les commissaires de repasser. Ce qu’ils firent, le lendemain, et elle leur déclara qu’elle avait suivi son mari comme rien n’eût pu l’en empêcher ; d’autant que le Roi, elle le savait parfaitement, ne songeait pas à quitter le territoire.
Desmoulins se déchaîna. Quoi ! fallait-il souffrir « qu’une criminelle se mît au bain à l’arrivée des commissaires, et attendre que, de sa baignoire, elle eût tiré la sonnette pour admettre l’Assemblée nationale comme un garçon de bain ! » demandait-il en arrangeant les choses au gré de son indignation lyrique. Il ajoutait : « À-t-on vu des juges s’écrire chez le concierge des prisons pour demander humblement à l’accusé un rendez-vous aux fins de l’interroger ? Il n’y a jamais eu pareille bassesse. »
Cet article fit rire Lise : l’exagération politique outrait vraiment les façons de la Reine. Lise le dit à Camille qu’elle vit ce soir-là chez M me Roland. On ne pouvait reprocher aux autorités de se montrer trop tendres envers les souverains. Ils étaient gardés à vue dans les Tuileries transformées en place militaire. Plusieurs bataillons campaient sous des tentes, dans le jardin et sur le Carrousel. On apercevait même des sentinelles sur les toits. Le Roi ne voyait jamais sa femme hors la présence des officiers qui veillaient jusque dans la chambre de la Reine ; elle devait se mettre au lit, dormir, se lever sous leurs yeux. En quelques jours, depuis le 20 juin, ses cheveux étaient devenus gris. Elle écrivait à Fersen : « Nous vivons, c’est tout ce que je puis vous dire. »
La diatribe de Desmoulins eut beaucoup moins de retentissement qu’un article de Gorsas, paru le même jour. En octobre 89, Gorsas, relatant dans son Courrier de Versailles le banquet des gardes du corps, avait allumé contre la Cour la colère de Paris. Il écrivait à présent : « Indépendamment de la loi constitutionnelle, qui a déclaré la France un royaume, nous pensons que le gouvernement républicain ne peut en aucune manière convenir à un État si étendu. » « Écoute bien, dit Montaudon qui lisait l’article à Claude ; et il poursuivit en soulignant de la voix : « D’ailleurs, il ne faut pas douter que ceux qui aspirent aujourd’hui à figurer dans la France-République sont généralement des factieux ou des hommes dévorés d’ambition. Un roi, premier sujet de la loi et ne régnant que par elle, voilà ce qu’il nous faut. Enfin, telle est notre opinion : il vaut mieux encore un roi soliveau qu’une grue républicaine. Nous dirons comme les grenouilles dans la fable du soleil qui se marie : Si un seul a desséché nos marais, que sera-ce quand il y aura une douzaine de soleils ? » Pour lui, il plaçait son espérance dans le Dauphin, dont, disait-il, une bonne éducation ferait un nouveau Marcellus. « Tu Marcellus eris ! » murmura pensivement Claude. L’espoir de Gorsas se réaliserait-il mieux que la prédiction d’Anchise à Énée ? Tabler sur l’avenir d’un enfant de six ans, c’était faire beaucoup de confiance au hasard.
« Une grue républicaine ! Il est impayable, ce bon Gorsas ! » s’exclamait Montaudon, assez lié avec le journaliste. Gorsas, parti très jeune de Limoges pour devenir élève d’une école militaire, à Versailles, puis se faire embastiller comme pamphlétaire, gardait bon souvenir de sa ville natale, il retrouvait avec plaisir des compatriotes. Sans parler des royalistes avec lesquels on ne frayait point, les Limousins étaient nombreux à Paris. On voyait, entre autres, aux Cordeliers et aux Jacobins, aux parlotes en plein air du Palais-Royal (rebaptisé Palais-Orléans depuis le départ du Roi), le jeune Briviste Brune, grand ami de Danton, typographe de son métier. « Brune, déclarait Desmoulins, a sucé avec l’encre d’imprimerie le lait de la Révolution. Du reste il est fils des Muses. » C’était exact, car il écrivait bien et crayonnait fort joliment ; il avait fait à la plume un charmant portrait de Lise. Il « croquait » parfois les orateurs à la tribune, avec un don remarquable pour saisir la ressemblance en quelques traits. Un autre natif de Brive siégeait avec Claude au comité de Législation, c’était Treilhard, député de Paris et juriste non moins réputé que Tronchet. Il y avait aussi chez les Jacobins un certain Pradeaux, correspondant officiel de la société de
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