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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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leur ami avait sacrifié en la lui laissant, ni combien une telle perte pouvait devenir lourde, à la longue, au lieu de s’oublier. « Oui, dit-il, oui, le pauvre cher grand cœur ! »
    À son tour, Claude avait des larmes aux yeux en reposant la lettre. Lise et lui restèrent à se regarder, partageant d’une seule âme la même émotion. Avec infiniment d’amour, il attira sa femme contre lui. Pendant un instant, ce fut comme si Bernard avait été là, serré entre eux dans cette étreinte fraternelle.
    « Je suis certain, dit Claude au bout d’un moment, qu’il a commis une grave erreur en s’obstinant à son métier, en restant à Limoges. Bernard, c’est un oiseau des cimes emprisonné dans une basse-cour. Son père, son frère sont des lourdauds, sa sœur une bonne femme mais bornée, Jean-Baptiste Montégut un homme de cœur, assurément, mais sans caractère. Bernard étouffe là-dedans, il le sent bien, il ne le sent que trop, et n’en conçoit pas la raison parce qu’il est excessivement modeste. Il n’a pas conscience de ses qualités. Ah ! s’il m’avait voulu croire ! À Limoges, au milieu de petites choses, rien ne le détourne de son tourment, tout se change en chagrins. Ici, sans parler du bonheur de te voir, son esprit et son âme seraient vivement occupés, comme sont les nôtres. Sous la pression des circonstances, son mérite, son grand caractère, sa noblesse eussent éclaté d’eux-mêmes, l’obligeant à les connaître. À présent, comment le faire venir ? quand il va nous falloir retourner là-bas. »
    Le départ du Roi avait fait interrompre, par un décret pris le 24, les élections à la nouvelle assemblée. Elles recommenceraient bientôt. Cela ne pourrait reculer, ou guère, la fin de la Constituante.
    Après le repas, pour distraire Lise, Claude l’emmena en fiacre aux jardins de Tivoli. Pour le moment, on ne siégeait à l’Assemblée que le matin. En attendant les débats sur le sort du Roi, on votait à la va-vite, dans l’indifférence générale, devant des banquettes en partie désertes, les articles du code pénal, dont certains pouvaient prendre pourtant une grande importance politique. En particulier cette loi de police municipale défendant aux clubs de tenir séance sans l’avoir déclaré un jour avant. La droite avait réussi à la faire passer. L’activité capitale se tenait dans les assemblées de sections, dans les parlotes du Palais-Orléans, chez des particuliers même, dans les clubs, surtout dans les « sociétés fraternelles » : compagnies populaires qui, sans être affiliées aux Jacobins, se réunissaient au-dessus d’eux, dans l’ancien local, et au-dessous d’eux, dans la crypte de l’église. On y rédigeait des motions assez virulentes demandant pour la plupart l’appel au peuple. Tout cela ne semblait plus présenter beaucoup d’importance ; la majorité des Cordeliers et la fraction démocrate des Jacobins étaient, par des concessions réciproques, parvenues pratiquement à un accord : on renonçait dans l’immédiat à la république. Carra lui-même, le bouillant Carra, la remettait à plus tard. Il écrivait sagement : « La nation n’a pas atteint, selon moi, cette homogénéité et cette force générale de caractère qu’il faut à des républicains confédérés en quatre-vingt-trois départements. Je pense donc que nous devons encore laisser couler la Constitution pendant quelques années sous la forme monarchique…» Et Brissot : « On cherche à égarer les esprits sur le projet de faire de la France une république, sans penser qu’à cet égard l’Empire obéira bien plus à la force des choses qu’à celle des hommes. » Restait à juger Louis XVI, à savoir si on le conserverait comme roi, ainsi que le voulaient manifestement les triumvirs et les fayettistes.
    Renonçant à s’occuper des ultimes tractations avec les Cordeliers, Claude consacra le reste du jour à sa femme. Le fiacre les avait déposés au bout de la Chaussée-d’Antin, à l’entrée de Tivoli. Claude prit des billets, et, la main de Lise sur son bras, ils pénétrèrent dans ce jardin extraordinaire où le contrôleur général Boutin, propriétaire des lieux, prétendait offrir aux flâneurs toutes les productions de la nature et de l’art. Ils parcoururent les bosquets en parlant de Bernard, d’eux-mêmes, de la vie qu’ils mèneraient une fois rentrés à Limoges. Ils admirèrent les cascades, s’assirent au

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