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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’une humeur plutôt enjouée. Il ne fallait pas prendre la situation trop au sérieux. Les « constituants » montraient une résolution et déployaient des forces telles, qu’à coup sûr ils imposeraient le maintien de Louis XVI. Dommage, certes ! Mais petit, car la royauté ne durerait pas longtemps : dans ce délai, mûrirait la république. Et vraiment, les gens – les gens ordinaires – ne semblaient pas assez passionnés par la question du Roi, pour aller se heurter à un appareil formidable. Non, l’air du jour n’était pas à une folle révolte.
    « Peut-être, reconnut Claude. Il n’en demeure pas moins que la destruction des Jacobins a quelque chose d’alarmant.
    — Bon, mon ami, dit Lise en s’asseyant sur ses genoux. Je mesure la violence du coup, mais quoi ! ce n’est point parce que quatre-vingt-neuf députés – tu as bien dit ce chiffre ? – ont traversé la rue, que notre société va mourir. Après tout, la voilà épurée de ses membres rétrogrades. Depuis longtemps, ils paralysaient tout, ils retardaient tout. Sans doute ôtent-ils quelque chose à son action dans l’Assemblée, mais ils ne diminuent pas son pouvoir sur l’opinion.
    — Mon petit cœur, tu t’abuses. Ils vont mettre la main sur les filiales de province, et alors !
    — Alors, alors ?… Je ne suis pas bien intelligente, moi, mais il y a une chose que je sais, comme ça : c’est que quand on a certains mots, certaines habitudes, dans la tête, cela n’en sort pas aisément. Dans des millions de cervelles, ici et en province, il y a les Jacobins. Ils y resteront quoi que l’on fasse. Bien entendu, il faut lutter, se défendre, tâcher de ramener petit à petit les députés qui peuvent être regagnés. »
    Claude sourit. Il ne partageait guère l’optimisme de sa femme, et il sentait bien qu’elle-même forçait un peu afin de lui communiquer sa confiance. Il s’y prêta, faisant effort pour voir les choses sous de moins sombres couleurs. L’énergie ne lui manquait point, mais il avait été atteint profondément. Il souffrait de la « traîtrise » de Montaudon qui lui avait tout caché, la veille. Montaudon, un ami de vingt-cinq ans ! avec lequel, jadis au collège, il s’enflammait pour les beaux traits de l’histoire spartiate et romaine ; et plus tard, ils s’enthousiasmaient ensemble en lisant Rousseau, d’Alembert, Voltaire, Diderot, Montesquieu… Ces longues promenades dans la campagne limousine, où ils refaisaient en rêve un monde délivré par la raison et la justice !
    « Viens, décida Lise, sortons, il faut te distraire. Allons voir où en est cette fameuse pétition. »
    Ils prirent un locatis pour se rendre au Champ-de-Mars. Bien d’autres fiacres y conduisaient des curieux et des promeneurs dont les groupes parsemaient l’immense quadrilatère, nu entre ses gradins de gazon. D’un côté, l’École militaire formait fond avec sa majestueuse façade ; de l’autre, par-delà le pont de bois enjambant le fleuve, la colline de Chaillot élevait ses hauteurs verdoyantes en plein soleil. Il faisait chaud, cependant un peu de brise tempérait l’ardeur des rayons et la réverbération du sol crayeux. Pas une ombre.
    Le gros du public se rassemblait au centre, autour de l’escalier monumental à quatre côtés, couronné par l’autel de la patrie. On était loin, très loin, d’avoir là les quarante mille hommes sur lesquels comptait ingénument Brune. Des enfants jouaient, courant entre les grandes personnes. On voyait des forts de la Halle plus ou moins armés, des sectionnaires, des ouvriers chômeurs, des boutiquiers, des laquais sans maître, des badauds, des journalistes, des espions de police, et surtout la clique ordinaire du Palais-Royal. Au total, une foule bigarrée où dominait le beau sexe : simples mères de famille promenant leur progéniture, épouses bourgeoises venues bras dessus, bras dessous avec leur mari voir là ce qui se passait, et des comtesses ou duchesses démocrates, des bas-bleus révolutionnaires, des poissardes, ouvrières et filles républicaines : c’est-à-dire toutes les sortes de « sans-culottes », comme on appelait les femmes patriotes, depuis la boutade de l’abbé Maury. Harcelé et interrompu dans un de ses discours royalistes par les réflexions railleuses de deux dames des loges, dont la jolie Aimée de Coigny, il s’était écrié, en pleine Assemblée : « Monsieur le président, faites donc taire ces

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