L'Amour Et Le Temps
suivirent. La plupart restèrent à discuter, demandant que l’on amendât la pétition de la façon souhaitée par le peuple. Elle répondait à leur propre vœu. Les Jacobins, eux, entendaient la maintenir telle quelle. De guerre lasse, au bout d’une heure on décida de revoir la question ce soir, au club, avec l’avis de Robespierre. Le texte, remanié, serait rapporté ici demain, dimanche. En attendant, Claude fit observer que, pour rester dans les formes légales, il fallait déclarer à la municipalité cette future réunion. Bonneville s’en chargea, avec Desmoulins qui arrivait, accompagné de sa blonde épouse, et que Claude grondait pour la violence de son article contre les députés. Camille, mal à l’aise, saisit l’occasion de s’esquiver, laissant Lucile en compagnie de Lise.
En se dirigeant vers les Tuileries et le Manège pour la séance de relevée, Claude dit à Pétion marchant avec lui un peu en arrière des dames :
« Il y a en tout cas quelque chose de certain : le sort d’Orléans est réglé, cette fois. Personne ne peut plus nourrir d’illusion à ce sujet. On veut encore moins de Philippe que de Louis.
— Oui, et voilà sans doute ce qui cause l’humeur de Danton.
— Je ne le crois pas. Non, je ne crois pas que Danton puisse regretter l’échec d’une cause si méprisable. Je pense qu’il voyait dans un conseil de régence la seule solution au problème.
— À moins qu’il n’ait repris à son compte la tentative de Mirabeau : faire obtenir le pouvoir à Orléans pour devenir son ministre. Avez-vous envisagé cela ?
— On en arriverait à soupçonner tout le monde ! » marmonna Claude en haussant les épaules avec lassitude.
Ils entrèrent tous les quatre au Manège, toujours entouré de troupes. Les deux jeunes femmes montèrent aux loges tandis que Pétion et Claude gagnaient leurs places près de Robespierre auquel ils narrèrent ce qui venait de se produire. Comme Claude lui rapportait le dernier mot de Danton, Maximilien hocha nerveusement la tête. « Je crains qu’il n’ait raison. On va trop loin, mais il y a lui-même poussé. »
L’Assemblée était en train de recevoir à la barre les ministres, les accusateurs publics, et de leur intimer, aux uns et aux autres, l’ordre qu’elle avait déjà donné, le matin, à Bailly : assurer de la façon la plus énergique le respect de la loi. Sur un tel sujet, il n’y avait pas à intervenir. Vers six heures, les députés jacobins décidèrent de souper puis de se rendre au club. Pétion et Robespierre montèrent au restaurant du Manège, Claude emmena Lise et Lucile. Desmoulins devait la retrouver rue Saint-Nicaise. Il les y attendait, griffonnant fiévreusement sur le bureau de Claude. En soupant tous ensemble, Claude fit à Camille la morale, lui montrant combien il était dangereux de discréditer l’Assemblée tout entière en un moment où elle restait unique dépositaire du pouvoir national. Oui, elle comptait au moins deux cents royalistes déclarés, fanatiques du despotisme et de la superstition, et un certain nombre d’autres, dispersés parmi les monarchistes, mais la plus grande partie des monarchistes sincères et la gauche ne pouvaient être considérés comme des ennemis du peuple. Marat lui-même sentait cela, il ne vouait aux gémonies, ou plus exactement au pal, que la droite et les constituants. « Y compris ton ami Montaudon », observa Camille en riant. Depuis quelques semaines, lui et Claude s’étaient mis à se tutoyer. « Montaudon n’est plus mon ami, répondit-il sombrement.
— Hon, hon, je reconnais là ton caractère romain, mais s’il nous faut être impitoyables avec les ennemis publics, ne soyons pas trop exigeants avec nos amis. Je me… m’entends bien avec Danton, moi, et pourtant nous ne sommes pas tout à fait d’accord. Amica veritas, sed magis amicus Plato » , acheva Camille, paraphrasant avec une joyeuse ironie.
Dubon passa prendre son beau-frère. Les trois hommes s’en allèrent au club par les rues pleines de soldats citoyens.
« Il y a sans nul doute nombre de républicains parmi eux, observa Dubon.
— Parbleu ! dit Camille. Quand je prends l’uniforme, je ne… ne quitte pas pour cela mes idées.
— Bien entendu, seulement toutes les opinions sont représentées dans une même compagnie, et elles se neutralisent les unes les autres. Sauf, peut-être, trois ou quatre bataillons démocrates dans leur ensemble, la garde
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