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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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délicieux matin si paisible, ces têtes martyrisées !… Refoulant la nausée, Claude regarda Pétion qui, en dépit de son flegme, était pâle. Brissot murmurait mécaniquement : « Ce n’est pas croyable, ce n’est pas croyable ! » Pourtant il avait déjà vu pareil spectacle, à la Bastille. Santerre, plus aguerri, gardait son sang-froid. Arrêtant un des suiveurs de l’atroce procession :
    « Dites-moi, citoyen, s’enquit-il. Qu’est-ce donc ?
    — Ça, mon ami, répondit l’individu, c’était deux cochons de royalistes qu’on a trouvés cachés sous l’autel de la patrie, avec un tonneau de poudre pour le faire sauter quand le peuple serait dessus.
    — Pas possible !
    — Eh oui ! Une telle scélératesse, hein ! Quand je pense qu’on les avait conduits au commissaire de police et qu’il les a relâchés, ces monstres ! Il pourrait bien y passer à son tour ; on est en train de lui demander compte. » Il allait rejoindre sa bande lorsqu’il se ravisa. « Vous êtes un bon citoyen, n’auriez-vous pas une pièce pour rafraîchir de braves patriotes contents d’avoir fait leur devoir ? » Avec répugnance, Santerre lui tendit quelques sols. Puis, se tournant vers ses collègues : « Nous devrions peut-être aller voir. »
    Un maraîcher qui s’était arrêté de tirer de l’eau de son puits pour regarder le cortège leur indiqua le chemin du commissariat. Si la foule s’y était portée, elle en avait déguerpi. Ils ne trouvèrent qu’un fonctionnaire désolé. Quand Claude et Pétion se furent fait reconnaître : « Messieurs, leur dit-il, j’ai relâché ces hommes après les avoir interrogés. La garde nationale n’a pas su les défendre, moi, je ne pouvais retenir contre eux ni crime ni délit. C’étaient deux tristes sires, rien de plus. Ils avaient eu l’idée sale et stupide de percer des trous dans la plate-forme de l’autel pour regarder sous leurs jupes les femmes qui monteraient. J’ai envoyé vérifier la chose ; elle est exacte. Quant à leur tonneau de poudre, le voici : c’est du vin blanc.
    — Eh bien, dit Santerre en sortant, il faudra conter l’histoire à ce brave Louvet. L’invention eût été digne de son Faublas. Voilà où conduit le libertinage. C’est payer cher, tout de même. »
    Le cœur encore mal remis, Claude accomplit sa part de la tache que le club leur avait fixée. À vrai dire, on ne prêta guère l’oreille aux paroles des Jacobins. Des sociétés populaires apportaient d’autres pétitions, résolument républicaines. Si bien vu que fût Santerre, quand il voulut prévenir l’assistance du risque qu’elle courait en se rassemblant, on lui cria de s’en aller dans son faubourg. On oubliait déjà le double meurtre. Ou plutôt, les trois quarts des gens l’ignoraient. Il y avait bonne distance d’ici au Gros-Caillou. Du reste, quand le petit perruquier et son compère avaient été arrachés à leur cachette, aux environs de six heures du matin, le champ de la Fédération était encore presque désert. Et maintenant, c’est au Palais-Royal que l’on exhibait leurs têtes.
    De là, sans doute, la nouvelle parvint au Manège, mais déformée. Dans la bouche d’un député monarchiste, elle acheva sa métamorphose : « Messieurs, annonça-t-il avec indignation, deux bons citoyens ont péri. Ils recommandaient au peuple le respect des lois. On les a pendus ! » Claude, arrivant avec Pétion, voulut rétablir la vérité. On ne l’écouta pas. Regnault de Saint-Jean-d’Angély réclamait à pleine voix l’application de la loi martiale. « L’Assemblée, poursuivit-il, doit déclarer criminels de lèse-nation tous ceux qui, par écrits individuels ou collectifs, porteraient le peuple à résister. » Les constituants devaient attendre une occasion pareille pour présenter ce décret dirigé de toute évidence contre les pétitions et contre la presse « extrémiste ». Il fut rendu sur-le-champ, tandis que Charles de Lameth envoyait à Bailly l’ordre de faire rechercher et saisir les meurtriers. Après quoi, passant majestueusement à l’ordre du jour, on se mit à écouter – plus ou moins – des rapports sur les finances, la marine, les troubles suscités par les prêtres ultramontains. Claude avait dans les yeux l’image de ces deux atroces têtes, cireuses et sanglantes, brandies dans la lumière du matin. C’était plus horrible encore que les cadavres du faubourg Saint-Antoine, lors

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