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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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qu’un de ses aides de camp a reçu un coup de pistolet, tout à l’heure, au Gros-Caillou ? Un peu plus tard, au moment où il arrivait à son tour avec le reste des troupes, il a essuyé un coup de feu. Les gens du Gros-Caillou avaient renversé des charrettes pour barrer le passage. De là derrière, on lui a tiré dessus. À en croire Chaumette, ce serait Fournier l’Américain. On ne peut savoir au juste, car La Fayette a fait relâcher l’homme aussitôt, mais cela ne m’étonnerait pas. »
    Fournier, Auvergnat, avait été piqueur de nègres à Saint-Domingue, d’où son surnom. Il haïssait les Lameth parce que planteurs, et par suite les amis des Lameth. Il les accusait tous de l’avoir ruiné. Aigri, froidement cruel, il rencontrait aux Cordeliers – comme l’horrible petit bossu Verrières, pareil à une araignée – la plus grande méfiance. Il se maintenait au club uniquement par la sourde peur qu’il inspirait à ses collègues.
    Pendant que Fabre et le ménage Roland causaient ainsi, un bruit de tambours roulant naquit, s’approcha, frêle dans le vaste espace. Cela venait du pont de bois. On vit se présenter de ce côté, dans la réverbération un peu aveuglante, une colonne bleue et blanche précédée par un groupe au-dessus duquel s’agitait dans l’air un petit drapeau, tricolore sans doute, dont on ne distinguait que le rouge. En même temps, par le Gros-Cailiou débouchaient au galop des escadrons de cavalerie qui disparurent aussitôt dans un rideau de poussière en direction de l’autel. Fabre, regardant vers le pont, crut voir là, sur les gradins, comme une fourmilière en effervescence. À certains mouvements répétés, il devina qu’on lançait des choses – cailloux ou mottes de terre – sur les gardes nationaux. « Oh ! oh ! fit-il, cela va se gâter ! » À l’instant, la colonne fut surmontée par un épais cordon de fumée très blanche. Les soldats avaient tiré – en l’air. Une seconde plus tard le son arriva : un petit craquement ridicule dominant à peine le ronflement des tambours. Chacun s’était dressé, tandis qu’un cri crépitait au long des gradins : « Le drapeau rouge !… C’est un drapeau rouge ! » Cette rumeur s’engloutit dans une violente détonation prolongée par des grondements, et là, au centre, on vit la montagne humaine en quoi l’autel de la patrie s’était changé, se dépouiller par pans, par grappes, des corps qui le recouvraient se marbrer de taches et de coulées pourpres, tandis que, de toutes parts, dans une clameur d’épouvante, les gens, sortant des nuages de poussière, de fumée, fuyaient éperdument vers l’École militaire, poursuivis par des cavaliers, le sabre haut.
    Dans le salon, tranquille et frais, des Danton, on en était encore à épiloguer, lorsque Fabre d’Églantine, en sueur, blême, vint apporter la terrible nouvelle.
    « Quoi ! rugit Danton soudain debout, le mufle en avant. La Fayette a tiré sur le peuple ! Il est foutu ! Ceux qui boivent le sang du peuple en meurent.
    — Je ne sais pas si c’est La Fayette, dit Fabre. C’est sa garde soldée, assurément. Quant à lui, il a empêché un massacre pire encore, en se jetant devant la bouche des canons. Le feu s’est arrêté très vite, avant même que Bailly, qui arrivait avec le guidon rouge, et qui s’est laissé cribler de cailloux et a même essuyé des coups de pistolet, paraît-il, en se bornant à faire tirer en l’air, ait pu intervenir. Les bataillons des Minimes, de Saint-Roch, de la Halle, placés devant l’École militaire, ont ouvert leurs rangs à la foule et menacé de leurs baïonnettes les cavaliers qui la poursuivaient. L’holocauste a été évité, néanmoins l’autel de la patrie est couvert de blessés, de morts.
    — Les… les… les monstres ! » balbutiait Desmoulins, la parole coupée.
    Tout le monde était sans voix. Au bout d’un instant : « Je vais au Département », dit Danton en frappant du pied.
    Il s’élançait, lorsque la sonnette tinta précipitamment. Legendre entra, tout agité. « Il faut fuir, jeta-t-il. On se massacre au champ de la Fédération, le savez-vous ? La loi martiale est proclamée, le drapeau rouge flotte à l’Hôtel de ville. Je viens de recevoir deux émissaires d’Alexandre Lameth. Il me fait dire de quitter Paris avec toi, Danton, avec Fréron et Camille, sans perdre une minute. J’ai une voiture en bas, je vous emmène. »
    Il y eut parmi

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