L'Amour Et Le Temps
Champ-de-Mars, s’arrêtaient, s’amassaient devant le portail du couvent. Du porche, ils voyaient l’arbre de la Liberté dans une barrière ronde, la petite et pauvre église avec sa façade plate, bien différente de la superbe architecture des Feuillants. Ici, pour tout ornement, il n’y avait au-dessus de la porte toute simple, en cintre arrondi, que l’enseigne de la Société, peinte sur un tableau de bois et surmontée d’un grand drapeau tricolore. Ils tendaient le poing à cette enseigne, lançaient des injures, des menaces, réclamaient l’ordre de donner assaut à la salle, de la détruire à coups de canon. Les plus échauffés pénétrèrent dans la cour. Qui les en eût empêchés ? Ils pouvaient recommencer là une nouvelle hécatombe. Dans l’église, c’était la panique. « La salle est investie ! » s’écriait-on. Un homme affolé sautait dans la tribune des femmes d’où M me Roland le chassait avec indignation en le traitant de couard. Maximilien, livide, restait fixe à sa place. Les officiers de la garde avaient cependant repris en main leurs soldats. Toutefois ils avertirent Antoine que, par mesure de sûreté, il fallait évacuer les lieux.
Robespierre sortit, convaincu qu’il allait être massacré. Au lieu de quoi il fut applaudi par la foule massée dans la rue. Elle riait en général de la mine effrayée des Jacobins, et les huait. Mais, à l’apparition de l’Incorruptible, bien reconnaissable, raide dans son habit bleu, et qui dissimulait ses frémissements sous un aspect glacial, des vivats retentirent. Périlleux honneur, en un tel jour. Il le goûta néanmoins. Peu soucieux pourtant de se voir désigné de la sorte aux coups de ses ennemis, il se déroba bien vite. Toujours digne, guindé par un orgueil plus grand encore en lui que la crainte, il descendait la rue dans la pensée de chercher asile pour un moment chez Pétion. Il fut de nouveau applaudi par un groupe de patriotes arrêtés devant l’Assomption. Ils clamaient : « Vive Robespierre ! » L’un d’eux même cria : « S’il faut un roi, pourquoi pas lui ? » Quelle douce rumeur ! mais combien redoutable parmi tant de sicaires ! Il cherchait comment se soustraire à l’ovation, quand un homme de bonne stature, assez bourgeoisement mis, qui se tenait devant un porche entre deux boutiques, s’avança en saluant le petit député à perruque blanche. « Je m’appelle Duplay, membre des Jacobins. Ne voulez-vous pas vous arrêter chez moi, citoyen, jusqu’à ce que l’agitation soit un peu calmée dans la rue ? »
Bien aise, Maximilien le suivit sous la longue voûte du porche débouchant dans une cour et un petit jardin encore bien éclairés par le soleil de sept heures. Il y avait là deux hangars avec des planches entreposées, une remise, un atelier vitré. La cour sentait la sciure et le copeau. De toute évidence, le citoyen Duplay était menuisier. Il l’apprit d’ailleurs à son hôte, en lui disant combien il se sentait honoré de le recevoir dans son humble logis. Celui-ci, en vérité, ne se révéla pas si humble. Une fois gravi quelques marches de pierre, Maximilien se trouva introduit dans une salle à manger d’une bonne apparence bourgeoise, comme son propriétaire. Il appela sa femme : personne avenante, vive, qui était certainement le vrai maître du ménage, et qui accueillit Robespierre en servante éblouie. Il vit ensuite trois jeunes filles dont l’émerveillement se nuançait de timidité. Pour la première fois de son existence, il était entouré de respect, d’admiration, d’hommages, par d’autres que son frère et sa sœur. Il se réchauffa, montra du sentiment avec le naturel sensible qu’une timidité secrète, l’orgueil, la crainte, glaçaient ordinairement en lui. Il sut même s’intéresser au jeune fils de son hôte. Bref, il fut tel que le connaissaient et l’aimaient les siens. Il avait accepté de souper. Ensuite on lui dit qu’il ne pouvait, un jour pareil, retourner au Marais, dans ce quartier perdu où les chevaliers du poignard et les séides de La Fayette auraient beau jeu de l’assassiner. On ne le laisserait point partir, il coucherait céans. Mais si, mais si ! Rien n’était plus simple. Dans un tournoiement de jupes, les trois demoiselles s’empressèrent d’aller lui préparer un lit.
Pendant qu’il se laissait ainsi dorloter, les Roland, inquiets à son propos, le cherchaient dans Paris. Ils avaient recueilli
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