L'Amour Et Le Temps
chez eux le gros Robert et sa remuante petite femme, promoteurs de la dernière pétition, échappés par miracle à la fusillade. Robespierre semblait à peine moins promis qu’eux-mêmes aux poursuites des monarchistes. Le bruit courait qu’on se disposait à procéder contre lui. Les Roland, qui l’avaient perdu de vue en quittant les Jacobins et le savaient seul, allèrent en fiacre, à onze heures du soir, rue de Saintonge. Ne l’y trouvant pas, en retournant à leur hôtel, rue Guénégaud, ils poussèrent jusqu’au quai des Théatins, rebaptisé depuis un mois quai Voltaire. Là, malgré l’heure tardive, ils montèrent chez Buzot pour lui demander de se rendre aux Feuillants et y défendre Robespierre avant que l’on ne dressât contre lui un acte d’accusation. Buzot, le premier, le plus fervent, admirateur de M me Roland, fut étonné par cette requête. Peut-être éprouvait-il quelque jalousie. « Bien, répondit-il néanmoins, je le défendrai à l’Assemblée. Quant aux Feuillants, Grégoire, qui s’y trouve, ne manquera pas de parler en sa faveur. Vous me semblez bien bons de vous inquiéter, cet homme ne mérite pas votre souci. C’est au fond un ambitieux, un égoïste. Il songe trop à lui-même pour aimer rien d’autre. »
Sitôt après le souper chez les beaux-parents de Danton, Claude et Lise avaient regagné Paris. Ils étaient allés au Pont-Neuf rassurer les Dubon qu’ils imaginaient préoccupés d’eux. Effectivement, Gabrielle, sans trop croire qu’ils aient pu être victimes du massacre, les avait cherchés rue Saint-Nicaise, et Jean aux Jacobins où Fabre d’Églantine l’avait tranquillisé.
« Je le savais bien, dit Dubon, que la municipalité Bailly finirait dans le sang. C’est celui des autres, hélas ! Quel affreux malheur ! Cet imbécile s’est laissé entraîner. Il n’a rien voulu, pour sûr, mais il n’a su rien prévenir. »
Claude secoua la tête.
« Nous sommes tous coupables, dit-il. Nous avons trop varié, nous n’avons pas su prendre dès l’abord une position nette, et ensuite nous y maintenir. À cet égard, ni vous ni moi ne sommes exempts de reproches : j’ai soutenu Barnave puis je me suis laissé séduire par une tentative beaucoup trop démocratique pour nos mœurs présentes ; vous avez fait l’inverse en avançant cette idée puis en voulant la freiner, trop tard. Malheureusement, il en va toujours ainsi : on reconnaît ses erreurs quand elles sont commises.
— Oui, sans doute, dit Lise en pensant aussi à d’autres variations. C’est que l’on a bien de la peine à se fixer. Notre volonté même n’est pas simple.
— Voilà maintenant la carrière ouverte pour un retour en arrière. On doit craindre qu’il ne nous mène loin. »
XI
En effet, la réaction parut d’abord très menaçante, mais la volonté des Feuillants, maîtres de l’Assemblée, de la municipalité, de la garde nationale, n’était pas simple, elle non plus. Monarchistes, non point royalistes, ils n’entendaient nullement faire le jeu de la Contre-Révolution. Les vrais ennemis restaient à droite, ils le savaient bien, aussi frappèrent-ils mollement leurs amis d’hier. On avait un moment fermé les Jacobins, cloué la porte des Cordeliers ; on les rouvrit. On poursuivit Fréron, Marat, Desmoulins, Danton, Legendre, Santerre, Brune et Momoro. Seuls, ces deux derniers furent saisis, faute de se cacher. Camille, revenu à Paris dès le 17 au soir, avait encore publié un numéro de sa gazette, dédié à La Fayette « phénix des alguazils-majors », et habitait tranquillement chez Claude où il eut été facile à la police de le découvrir. Alexandre de Lameth n’avait pas avisé Desmoulins, Danton et autres, de fuir, pour les faire ensuite arrêter. On voulait simplement les tenir à l’écart, dans le silence, le temps de réviser, de monarchiser la Constitution. Les Jacobins non cordeliers ne furent même pas inquiétés. Dans son réquisitoire contre les provocateurs, l’accusateur public Bernard proclamait bien haut l’innocence jacobine. « Il est constant et prouvé, affirmait-il, qu’un attroupement sorti du Palais-Royal s’est introduit, le 16 juillet au soir, dans l’assemblée des Jacobins, en forçant les portes, que cette multitude effrénée a seule dicté la pétition et déterminé toutes les démarches subséquentes. » Il ajoutait précisément : « Nous publions avec la plus grande satisfaction que
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