L'Amour Et Le Temps
des Feuillants. Par le couloir de planches et de coutil rayé, le Roi, suivi des ministres, pénétra dans la salle. On l’accueillit debout. Il ne portait plus le manteau d’hermine, ni même le cordon bleu. Sur son banal habit de soie puce, il arborait le ruban rouge avec la croix de Saint-Louis : seul ordre qui n’eût pas été aboli par l’Assemblée. Il n’y avait pas non plus de trône à fleurs de lys. Simplement, sur l’estrade présidentielle, un fauteuil exactement semblable à celui du président était disposé à sa gauche, sur la même ligne, à la même hauteur. Surpris, le monarque hésita jusqu’à ce qu’un huissier lui montrât ce siège. Il était honorable, car il mettait le premier personnage de l’Assemblée à la droite du Roi, désignant donc celui-ci comme le maître des lieux, siégeant ici chez soi. Tout cela avait été minutieusement réglé, la veille, au cours d’une très aigre discussion. En définitive, on ne voulait point humilier le souverain, on voulait seulement lui faire comprendre que s’il était le premier magistrat de la nation, il n’était pas davantage. On avait également résolu de ne rien changer pour lui à l’habitude de l’Assemblée qui écoutait, assise, les orateurs ou les comparants à la barre. Du moins, comme le demandait Montaudon, que Claude, en l’occurrence, approuvait, fallait-il en avertir le Roi. Nul n’en avait pris soin. Aussi, lorsque Louis XVI, commençant, debout, à prêter son serment, vit le président et l’Assemblée s’asseoir, il ressentit violemment ce qui lui apparut comme une insulte. Il rougit, s’embarrassa dans ses paroles, s’assit avec brusquerie, puis, péniblement, acheva de jurer fidélité à la nation, à la Constitution. Les applaudissements et les vivats se déclenchèrent aussitôt. Ils auraient pu lui prouver qu’il n’y avait pas contre lui d’intention malveillante. L’hommage était chaleureux ; il englobait toute la famille royale : la Reine, le petit prince et sa sœur, ainsi que Madame Élisabeth, installés dans la loge du logo-graphe, dont Marie-Antoinette venait d’ouvrir le rideau. Les acclamations s’accrurent encore pendant que le Roi signait l’acte constitutionnel présenté par le garde des Sceaux. Elles se turent, pour reprendre après le discours de Thouret exprimant au monarque, avec beaucoup de rhétorique, le respect et l’amour de tous les Français. Après quoi, l’Assemblée tout entière, le président marchant à côté de Louis XVI, raccompagna celui-ci aux Tuileries, dans l’enthousiasme de la foule grisée par les salves d’artillerie, les tambours, les claironnements des fanfares.
Ni ces hommages ni ces élans n’effaçaient chez Louis la conscience de l’injure. Lui qui avait supporté avec flegme les avanies du retour de Varennes était profondément blessé par l’offense faite maintenant à la majesté royale. Rentré au pavillon de l’Horloge, seul avec sa femme et M me Campan à laquelle il ne prit point garde, il se laissa tomber dans un fauteuil en se couvrant le visage d’un mouchoir. « Tout est perdu ! gémit-il. Et vous avez été témoin de cette humiliation ! Vous êtes venue en France pour voir ça ! » Il sanglotait. « Ah ! sortez, sortez ! » jeta Marie-Antoinette à sa confidente, tandis que, bouleversée, elle s’agenouillait devant Louis, le serrait dans ses bras.
Sur le Carrousel, aux Tuileries, le peuple continuait sa joyeuse rumeur. Le temps radieux, ces musiques, tant d’allégresse portaient à l’optimisme. Pourtant Claude, qui se promenait avec sa famille et ses amis dans le jardin rouvert au public, restait sceptique. Dubon non plus, ni les Roland, ne croyaient beaucoup aux promesses de ce jour. Une mélancolie plutôt que de l’inquiétude planait sur eux, ralentissait leur pas sous les marronniers dont les cimes commençaient à jaunir. Même Claude au fond, ils étaient tous secrètement las. Après tant d’ardeurs, leurs âmes elles aussi entraient dans une sorte d’automne, appelaient l’engourdissement de l’hiver. Les Roland allaient regagner Lyon ; Robespierre, Arras. Montaudon, qui avait trouvé moyen de se faire élire, à Limoges, substitut de l’accusateur public, était parti ce matin. Quant à Lise, elle ne restait plus ici que de corps.
Les jours suivants furent presque tous de fête : réception de la municipalité par le Roi, visite à la Reine, proclamation publique de la
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