L'Amour Et Le Temps
Constitution. Salves de canon, cortège, de l’Hôtel de ville aux principales places. Claude et Lise assistèrent à la cérémonie sur le Carrousel. Ils entendirent le héraut de la Commune annoncer à la foule : « Citoyens, l’Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, ayant commencé, le 17 juin 1789, l’ouvrage de la Constitution, l’a heureusement terminé le 3 septembre 1791. L’acte constitutionnel a été solennellement accepté et signé par le Roi le 14 du même mois. L’Assemblée nationale constituante en remet le dépôt à la fidélité du Corps législatif, du Roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l’affection des jeunes citoyens et au courage de tous les Français. » Les mots claironnés ainsi ne laissaient pas Claude indifférent : ils lui rappelaient Versailles, les heures passées avec son homonyme Mounier, Le Chapelier, Lanjuinais, Sieyès, à jeter les fondements de cet « ouvrage » qui était en partie le sien. Et il se souvenait aussi de sa détresse en ce temps où Lise semblait perdue. Il lui serra doucement le bras.
Ils se séparèrent pour aller au Champ-de-Mars. L’Assemblée devait s’y rendre en corps. L’esplanade était presque aussi peuplée que pour la première Fédération. On avait exposé sur l’autel un très grand livre ouvert, portant sur la page de gauche les mots : Dieu, la Nation, la Loi, le Roi ; sur l’autre : Droits de l’homme, Constitution. Bailly éleva l’acte constitutionnel pour le montrer solennellement à la foule. Une nouvelle lecture en fut faite, à laquelle répondirent cent trente pièces de canon alignées au bord de la Seine, derrière l’arc de triomphe, près du pont de bois par où, deux mois plus tôt, était entré le drapeau rouge. Le soir, vers cinq heures, un énorme ballon à fuseaux tricolores s’enleva des Champs-Elysées, avec un aéronaute dans la nacelle en forme d’aigle. À la nuit, des Tuileries à Chaillot, des milliers de lampions s’allumèrent tandis que des chants, des orchestres résonnaient sur de petits théâtres disséminés parmi les bosquets. La famille royale en carrosse, escortée par des écuyers, avec un faible détachement de gardes nationaux, parcourut les allées au milieu des acclamations.
Le dimanche 25, nouvelle illumination accompagnée d’un feu d’artifice, par les soins du Roi cette fois, après un Te Deum chanté – constitutionnellement – à Notre-Dame, en présence d’une délégation du corps municipal et de l’Assemblée. C’est à des manifestations de ce genre qu’elle se consacrait, tout en bâclant quelques ultimes décrets devant des banquettes, des loges, des tribunes à peu près désertes. Tout ce qui restait d’intérêt politique se portait vers la salle de l’Évêché et ses opérations électorales. Brissot, Condorcet avaient été élus. Danton, d’abord en bonne posture, voyait de jour en jour diminuer ses chances.
XII
À Limoges, depuis le 24 juin, le Département s’efforçait de satisfaire au décret ordonnant la conscription libre des gardes nationaux de bonne volonté, pour la défense des frontières : décret rendu après la fuite de la famille royale. Dans toutes les communes étaient ouverts des registres d’inscription. On avait nommé trois commissaires : Jourdan, Dalesme, Longeaud des Brégères, membre du Directoire, pour veiller à l’enrôlement. Hélas ! ces trois « patriotes zélés » ne trouvaient point à déployer leur zèle, car les registres de papier bleuâtre restaient vierges. « Du diable, disait Jourdan, si j’aurais jamais cru être un jour recruteur, et pour un si piètre résultat ! »
Au vrai, jusqu’à la fin août, le directoire du Département ne s’était point livré à de très grands efforts. Il avait bien, en juillet, adressé aux districts une lettre-circulaire : « On a pu croire un moment que le retour du Roi devait ôter toute espèce d’inquiétude, mais gardons-nous de nous livrer à une fausse sécurité : la France est menacée de toutes parts. Vous connaissez les dispositions des armées étrangères du côté du Nord et du Rhin ; une flotte anglaise de vingt-six voiles a paru à la hauteur de La Rochelle ; les troupes espagnoles ont violé le territoire français du côté des Pyrénées. » Cet avertissement n’était guère de nature à troubler des villageois. Pour la plupart d’entre eux, le
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