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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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duper, elle, simple fille sans pratique, eût-il donné le change sur sa nature à un Pierre Dumas, si réfléchi, à des hommes d’expérience comme M. Nicaut, M. Pinchaud, peu susceptibles assurément d’accorder leur considération à un fourbe.
    En rendant distraitement son salut au beau Jacques Mailhard qui la croisait à l’entrée de la place Dauphine, elle prit une résolution : elle interrogerait son mari, elle lui parlerait avec franchise. Elle en aurait le cœur…
    Il lui sauta dans la gorge. Bernard !… Elle le voyait, au milieu de la rue des Combes, de dos. Entraîné par son charreton glissant plutôt qu’il ne roulait sur les plaques de neige dure et la glace débordant du ruisseau, il dévalait la pente. Mon Dieu, n’allait-il pas se faire du mal ?
    Mais non. Fort, adroit, il évitait une vieille femme. Plus doucement, il disparut en tournant vers le sombre goulet de la rue Pont-Hérisson.
    Le manchon sur les lèvres, elle rentra. Elle avait pensé voir si Claude était là, dans son cabinet, au rez-de-chaussée, et lui parler tout de suite si elle le trouvait seul. À présent elle n’y songeait plus. Elle suivit le couloir qui séparait le cabinet du poste de garde de la milice bourgeoise, monta, se défit de son manteau, de son chapeau, tisonna le feu, et, enfouie dans sa bergère au coin de l’âtre, s’abandonna jusqu’au soir à des rêves tristes.
    À table cependant, le souvenir de sa résolution lui revint. Elle entendait distraitement son mari lui raconter les réactions suscitées au Présidial par l’attitude qu’il venait de prendre. L’article de La Feuille hebdomadaire était loin de plaire à tout le monde, d’aucuns ne le cachaient pas à l’auteur.
    « Je vais me faire des ennemis, remarqua-t-il avec un sourire. Sans doute même, perdre des clients. »
    Cette perspective ne semblait pas l’affecter, elle n’entamait en rien sa bonhomie. Se pouvait-il que celle-ci fût un masque ?… Réveillée de ses songes, Lise attaqua.
    « Écoutez, Claude. Je voudrais savoir, en toute sincérité, pourquoi vous avez écrit cette diatribe.
    — Ma foi, dit-il, un peu surpris, vous le savez. N’avez-vous pas assisté à la discussion d’où elle est sortie !
    — J’ai assisté aussi à bien d’autres, et j’ai entendu maintes fois René Montaudon, le petit abbé Lambertie ou Xavier Audouin vous offrir de collaborer à leur gazette. Vous aviez toujours repoussé leurs invitations. Pourquoi, tout à coup…
    — Pardon, mon amie. Je n’ai jamais refusé : j’atermoyais.
    — Justement ! Pour quelle raison remettiez-vous ? Pour quelle raison vous êtes-vous brusquement décidé ? »
    Il sourit de nouveau. Son visage plein de fraîcheur prit un air très jeune.
    « Vous voulez un aveu, Lise ? Le voici : je n’étais pas sûr de moi. Écrire un mémoire de procédure ou un article sont choses fort différentes. Plaider aussi. On parle, cela s’envole, scripta manent : les écrits restent, on revient dessus, on les examine. Je n’avais jamais publié. Ma foi, cela m’intimidait un peu. C’est grave, comprenez-vous ? ajouta-t-il avec sérieux. Ce que je dis aux uns ou aux autres en petite compagnie ne va pas loin. Une opinion imprimée agit sur des quantités de gens. Écrire, c’est déjà toucher à la liberté des hommes. Voilà pourquoi j’ai balancé longtemps à publier mes opinions. Puis un moment vient où l’on ne peut plus refuser de prendre parti. La gravité de la situation, ses intolérables injustices m’ont décidé. »
    Cette touchante réponse était bien conforme à ce que l’on devait attendre de lui, mais si son personnage était faux, elle pouvait aussi bien donner la mesure de son habileté dans l’hypocrisie.
    « Je comprends, dit Lise, seulement je suis frappée par certaine coïncidence. Elle ferait interpréter tout autrement vos refus suivis de cette brusque acceptation. Vous ne m’avez point parlé du prêt que vous avez demandé à Louis. Jusqu’à ce moment, vous étiez fort assidu là-bas. N’attendiez-vous pas, avant d’attaquer les grands bourgeois, de savoir si vous ne réussiriez point à prendre place parmi eux ? Je vous questionne en toute franchise, répondez-moi de même, je vous prie. »
    Elle l’avait vu rougir. Un instant, il parut embarrassé. Dans le salon, autour de la table ronde tirée près de l’âtre à cause du froid, il y eut un silence. Dehors, aucun bruit. Ici, le pétillement des

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