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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vertement :
    « Va te faire foutre, Mounier-Dupré ! Les députés, c’est pas nous qui les avons élus, c’est les riches. »
    Les commères proches avaient entendu le nom du jeune homme. Il était populaire depuis sa campagne contre le pain cher, on savait jusque dans le petit peuple qu’il s’opposait aux « gros ». Quelques femmes lui crièrent de parler, elles imposèrent un peu de calme autour d’elles. Claude leur demanda ce qu’elles voulaient. Un brouhaha de réponses s’éleva où l’on ne distinguait rien. Cependant, un petit homme chafouin, au visage grêlé, s’était glissé entre les ménagères. Il sortit aux pieds du jeune avocat et, dressé comme un coquelet sur ses ergots, dit très clairement :
    « Nous voulons faire ouvrir les greniers où les accapareurs cachent le grain. Nous voulons le prendre pour le livrer à la consommation de tous. »
    Connaissant d’avance cette intention dont Bernard l’avait avisé, Claude savait aussi ce qu’il allait répondre à son tour.
    « Ma foi, dit-il, avec sa bonhomie coutumière, votre désir me semble raisonnable. Je suis prêt à vous soutenir. Vous pensez qu’il y a du blé céans ?
    — Ici comme dans tous les couvents. De même chez beaucoup de particuliers. »
    Claude était à peu près sûr du contraire, et il lui venait l’intuition que ce petit grêlé l’était aussi. Les communautés religieuses gardaient en général une provision de froment pour leurs besoins, mais elle ne risquait guère, dans les circonstances actuelles, d’excéder ceux-ci.
    « Bon. Que pourrions-nous envisager ? Voudriez-vous choisir un certain nombre d’entre vous, hommes et femmes, pour aller visiter les lieux que vous désigneriez vous-mêmes ? Si l’on y trouvait du grain au-delà d’une provision raisonnable selon l’estimation de vos délégués, il serait saisi, déposé au grenier public. Quelque chose comme cela vous conviendrait-il ?
    — Il faudrait encore, corrigea Préat, que le transport au grenier soit fait sous le contrôle des nôtres, qu’ils surveillent également la distribution à des boulangers indiqués par nous, non pas à des bougres de profiteurs.
    — Tu es singulièrement méfiant, Préat. Enfin, je veux bien soumettre en votre nom cette proposition aux autorités. Attendez-moi, demeurez tranquilles. Montrez par votre calme, mesdames, que vous êtes conscientes de votre bon droit. »
    Le petit chafouin acquiesça. Autour de lui, les « Oui, oui » fusaient, accompagnés de quelques « Vive Mounier-Dupré ! » que poussaient ces dames du pont Saint-Étienne.
    Les deux municipalités de la ville et de la Cité, M. de Reilhac, le lieutenant d’épée, M gr  l’intendant, ainsi que l’état-major de la milice bourgeoise, réunis sur le terre-plein, à l’angle des jardins de l’évêché et de ceux de la Règle, observaient la situation. Le tumulte s’était changé en une rumeur, car la détente survenue au cœur de l’émeute avait gagné de proche en proche dans les ruelles voisines. Auteur de cet apaisement, Claude fut bien accueilli, cependant sa proposition n’alla point sans soulever des protestations indignées.
    « Quoi ! s’exclama le sanguin M. Delmay, pactiser avec la racaille ! nous plier aux ordres de ces braillards ! Si l’on commence à supporter leurs lubies, où n’en viendra-t-on pas ? Une bonne charge là-dedans à coups de crosse, voilà ce qu’il faut pour leur nettoyer la cervelle. »
    Le colonel de la milice, M. Peyroche du Reynou, estimait pour sa part qu’il suffirait de faire avancer les compagnies, baïonnette au canon, pour mettre en fuite les mutins. Il ne dissimulait point toutefois que si, par hasard, ils opiniâtraient la résistance, la troupe ne pourrait pas grand-chose dans ce lacis de venelles où elle n’avancerait qu’à deux ou trois hommes de front. Du haut des murs bordant les jardins, et des fenêtres surplombantes, on l’accablerait de projectiles improvisés. En un mot, on risquait sur un coup de dés une grave effusion de sang.
    Léonard Delmay, si emporté fût-il, ne désirait pas le répandre. Parmi les autorités, chacun partageait cette répugnance. L’intendant d’Ablois, qui n’avait guère confiance dans les capacités guerrières des boutiquiers en uniforme, ne tenait pas à voir s’engager une échauffourée où il faudrait probablement lancer la troupe régulière. Tant que l’on n’en viendrait pas là, il n’avait

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