L'Amour Et Le Temps
officiellement rien à dire, cela restait affaire municipale. Il conseillait la modération. Antoine de Reilhac soutint la proposition présentée par Claude, la trouvant un peu démagogique mais sage, au fond. Bien que l’on sentît le danger d’accorder trop aux exigences désordonnées du populaire, on considéra finalement comme un moindre mal la médiation de Mounier-Dupré. On décida que chaque commission du peuple serait composée de deux personnes auxquelles se joindraient un officier municipal et un officier de la milice.
Claude rapporta cette réponse, sur laquelle on s’accorda également de l’autre côté. Les délégations, escortées chacune par de forts contingents armés, allèrent donc se faire ouvrir les principaux couvents et quelques riches demeures, tandis que la maréchaussée, le guet de la ville, celui de la Cité patrouillaient dans les rues, dissipant les rassemblements qui tendaient à se reformer çà et là.
L’une des premières maisons dont le petit homme chafouin – Janni le corroyeur – demanda la visite, fût l’hôtel Naurissane, comme Louis l’avait prévu. Il jugeait l’initiative de Claude extrêmement dangereuse, car il sentait le risque de révéler à des gens de rien le luxe dans lequel vivaient les grands bourgeois. Il fallait maintenant, bon gré mal gré, en passer par là. À vrai dire, une telle magnificence médusa Janni, la femme qui l’accompagnait, et même l’officier municipal. Quant à celui de la milice, c’était Lamy d’Estaillac. Les deux délégués populaires éprouvèrent pour le maître de ces splendeurs un respect auquel ni eux ni lui ne s’attendaient. Intimidés, ils se montrèrent très humbles. Quand Louis leur offrit d’entrer dans les appartements, la femme murmura :
« Non, non, tout de même. Monsieur est bien honnête, mais on n’est pas des sauvages nous autres. »
On parcourut donc les caves, les greniers, les communs, écuries, remises. Le maître de maison passait devant pour indiquer le chemin. Janni faisait des courbettes. Ce qui ne l’empêcha point, l’inspection finie, de demander, très poliment, que l’on visitât aussi la Monnaie.
« À votre aise, mon ami, dit Louis en haussant les épaules. Je vous préviens toutefois qu’il faudrait vingt personnes, pendant plusieurs jours, pour voir partout. Cependant, allons, je vous introduirai, vous fouinerez comme il vous plaira. Si vous trouvez un seul grain de blé je veux bien être pendu. »
Possesseur de quatre moulins, tant sur la paroisse d’Isle que sur son domaine de Brignac, il n’avait nul besoin de cacher du froment ici ou là dans Limoges, personne ne l’ignorait. Si l’on avait voulu procéder à de véritables perquisitions, c’est là-bas qu’il eût été logique de les faire. Mais que désirait-on ? découvrir des grains, ou humilier les bourgeois, apprendre aux ménagères, aux ouvriers, à se servir de leur force ?
Nulle part dans la ville ou la Cité, ne fut découvert le moindre stock. On sut, le soir, que le froment, cause ou prétexte du tumulte, était de la semence acquise par un cultivateur de Panazol. Cet homme, craignant la sensibilité excessive du public pour tout ce qui touchait aux grains et à leur transport, avait recommandé aux charretiers de faire passer leur chargement pour du sel.
L’agitation subsistait cependant, elle s’éteignait d’un côté pour reprendre d’un autre. Dans la matinée du lendemain, une nouvelle émeute faillit éclater devant une boulangerie où l’on avait vu des pains dissimulés, prétendait-on. Pour éviter le saccage, il fallut distribuer toute la fournée, gratuitement. Le mardi, autre chanson : les paysans des alentours allaient se révolter. Ils mettraient à profit la prochaine foire pour se rendre en masse à Limoges et dévaster la ville. Il fallait que tout le monde s’armât si l’on ne voulait pas être égorgé. On dut maintenir sur pied la milice bourgeoise, afin que chaque soldat-citoyen conservât par-devers soi ses armes. Si on les avait rapportées au dépôt, le peuple, affolé par ces rumeurs, l’eût pillé.
Claude cherchait vainement l’origine et le sens de ce bruit stupide. Les paysans se souciaient peu de la ville. Leurs griefs tenaient dans l’inégalité de l’impôt, les corvées, le poids des redevances seigneuriales, les tracasseries des justices seigneuriales également. S’ils avaient dû se révolter, c’eût été contre les châteaux,
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