L'Amour Et Le Temps
rapidement. Mais alors on entendit, venant de la place Dauphine, le roulement précipité d’un tambour. Il battait le rappel de la milice bourgeoise. Décidément, l’affaire devait prendre mauvaise tournure, pour que le guet et la maréchaussée n’en pussent venir à bout. Marcellin, Jean-Baptiste appartenaient, comme tous les citoyens âgés de vingt-cinq ans au moins et payant le cens, à cette garde communale créée jadis par les consuls. Marcellin monta vivement se mettre en uniforme, tandis que Jean-Baptiste courait revêtir le sien, faubourg Manigne.
« Mon Dieu ! Mon Dieu ! gémissait Antoinette Delmay, que va-t-il advenir ? »
Léonarde qui, par la fenêtre, suivait des yeux son mari, se retourna, lançant avec sévérité :
« Voilà où mènent les idées de Mounier-Dupré et de ses partisans. »
Bernard ne répondit pas, jugeant l’accusation déraisonnable. Il cherchait anxieusement à quoi s’employer dans cette crise. Le tambour se rapprochait, avançait au long du faubourg. C’était sinistre, ce roulement monotone, pressant. Cela vous serrait l’estomac. Marcellin redescendit en sautant des marches, le lampion noir à trois cornes jeté sur la tête, les guêtres à demi boutonnées. Il ajustait d’une main sa veste, portant sur l’autre bras, en vrac, l’habit blanc et les buffleteries. Il était en colère.
« Sacrebleu ! on va les dresser, ces braillards ! Restez là, dit-il aux femmes, Bernard veillera sur vous, mais il ne se produira rien de ce côté. Ce sont des quartiers convenables, ici.
— Mon ami, fais bien attention à toi ! » lui cria Antoinette comme il disparaissait dans l’étroit escalier.
Elle rejoignit Léonarde et les petits aux fenêtres, pour le voir partir. Çà et là, d’autres miliciens commençaient à sortir de chez eux, qui couraient vers le dépôt d’armes à la Visitation, achevant comme Marcellin de se harnacher en route. Ce spectacle amusait fort les enfants. Ils imitaient le bruit du tambour auquel des échos répondaient dans d’autres quartiers. Pas mal d’hommes devaient être à la campagne, aujourd’hui. Cette pensée rappela soudain à Bernard que Mounier dînait chez ses beaux-parents. On allait le chercher, sans aucun doute, car nul ne semblait mieux en situation de calmer peut-être le peuple. Saurait-on où le trouver ? On y perdrait du temps.
« Quoi que tu en penses, dit Bernard à sa sœur, la ville a besoin de Mounier-Dupré en la circonstance. C’est lui qui aurait le plus de chance d’arranger les choses. Il est à Thias, je vais le prévenir.
— Tu nous laisserais seules ! se récria Antoinette.
— Vous ne risquez rien, pour le moment. Je reviendrai vite. » Il descendit en hâte à l’écurie, sella le courtaud de son père, et, les talons près, le lança vers la place des Carmes. Là, au pied de la promenade d’Orsay, se joignaient la route d’Angoulême et celle de Bordeaux, venant d’Aixe. Il emboucha celle-ci d’un bon train. Moins d’une demi-heure plus tard, il arrivait chez les Dupré où l’on quittait la table.
« Voilà des choses singulières, dit Claude en apprenant les nouvelles. Bon, allons voir si l’on peut remédier à ce désordre. Venez-vous, Louis ?
— Parbleu ! D’ailleurs si ces énergumènes se mettent à vouloir piller les maisons, la mienne le sera des premières. Je ne suis nullement en humeur de le souffrir. Laissons ces dames ici jusqu’à ce que l’on sache où l’on en est.
— Point du tout, mon ami, répliqua Thérèse combative. Je suis très capable d’affronter cette populace. J’aurai plaisir à lui voir donner les étrivières, ce qui ne saurait manquer. Je vous suis. »
Son père, redoutant sa vivacité, la pria fermement de demeurer. Par respect pour lui, elle s’inclina, de mauvaise grâce, tandis que son mari sortait pour donner l’ordre d’atteler.
« Il faut prévenir Reilhac, dit Claude. En tant que lieutenant général…
— Il n’est pas ici. Sa femme et ses enfants viendront s’installer seulement après son départ. »
Lise aurait bien voulu que Bernard restât. Il n’en pouvait être question. Cependant son cheval, poussé sans ménagement, avait besoin de quelque repos.
« Si vous voulez aller avec ces messieurs, proposa M. Dupré, je vous ferai ramener la bête. De toute façon, je veux envoyer quelqu’un en ville tantôt, pour avoir des nouvelles. Il conduira votre cheval en main. »
Le jeune homme
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