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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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fait toutes sortes de cris et de protestations grotesques, imaginèrent de confectionner un mannequin auquel ils accrochèrent une pancarte portant le nom du manufacturier. On lui passa, paraît-il, un ruban noir imitant le cordon de Saint-Michel dont Réveillon doit être prochainement décoré. Enfin, on résolut de l’aller brûler en place de Grève.
    — Eh ! ils suivaient proprement l’exemple que vos clercs de basoche ont donné, au mois d’août dernier, en brûlant l’effigie de Brienne. D’où quelques troubles se sont ensuivis, si je ne m’abuse.
    — Bah ! c’était une manifestation bien anodine. Elle n’a provoqué la mort de personne, celle-là.
    — On ne doit point grimacer devant des enfants si l’on ne veut pas qu’ils vous imitent et outrent même la leçon. Or le petit peuple est un enfant. Il faut lui enseigner la justice, non pas la violence.
    — Bref, dit Dubon, l’affaire d’hier soir s’était terminée sans dommage. Elle ne semblait point méchante. Réveillon ayant demandé protection contre un éventuel renouvellement du trouble, le lieutenant de police lui envoya trente hommes du guet, et fut se coucher tranquille. En quoi il avait parfaitement raison, tout demeura paisible jusqu’à ce tantôt. Là, je ne sais que vaguement ce qui est arrivé. En tout cas, les mutins ont reparu, très menaçants, cette fois, renforcés par des bandes venues, paraît-il, du quartier Saint-Marceau, d’individus sortis on ne sait d’où. Que s’était-il passé entre-temps ? je l’ignore, mais aujourd’hui il ne s’agissait plus de mannequin ; c’est le manufacturier lui-même que l’on voulait, pour le brûler ou le pendre. Heureusement, des voisins réussirent à le faire filer par-derrière. Il courut chercher refuge à la Bastille.
    — C’est bien la première fois qu’un homme aura vu avec bonheur les portes s’en refermer sur lui.
    — Oui. Pendant ce temps, la foule désarmait les archers. Elle a envahi la boutique, tout démoli dans les ateliers, tout saccagé dans les appartements. Les meubles en morceaux, les papiers, les marchandises, ont nourri des feux de joie sur la chaussée. Bref, pendant plusieurs heures, ç’a été le désordre furieux, le pillage, l’incendie, tout ce que vous imaginez.
    — Et, durant ces heures, l’autorité n’a pas réagi !
    — Le lieutenant de police a prévenu le Conseil, à Versailles. Que pouvait-il faire d’autre ? Envoyer le guet, avec ses armes ridicules !… Voilà pourquoi, je présume, la réaction ne s’est produite que tardivement. Elle a été brutale. Le régiment de Royal-Cravate, arrivant au galop, a barré le faubourg, sommé les mutins de se disperser. Comme ils répondaient par des huées, des jets de pierres aussi, prétend-on, il a ouvert le feu. Furieux, les autres se sont lancés sur les soldats. Il y avait, parmi les pillards, des hommes armés qui se glissaient entre les chevaux, les blessant pour désarçonner les cavaliers sur lesquels se jetait aussitôt la foule folle de rage. On m’a dit que c’était une mêlée horrible. Finalement, force est restée à la troupe, non sans peine, et au prix de combien de victimes ! »
    Claude secoua la tête. « Tout cela me paraît monstrueux, autant qu’incompréhensible. Quoi ! personne n’est intervenu ? La municipalité n’a pas essayé de raisonner ces pauvres gens, comme nous l’avons fait tout naturellement à Limoges ?
    — Je n’en sais rien, répondit Dubon, je n’ai pas assisté au drame.
    — Est-ce fini depuis longtemps ?
    — Une heure à peu près, peut-être moins.
    — Si nous allions nous rendre compte ? Le spectacle ne doit guère être plaisant, certes. Cependant il y a là des choses bien étranges. Il serait bon de s’en informer, ne croyez-vous pas ? »
    Dubon monta prévenir Gabrielle, puis les deux hommes sortirent. Sur le pont même, devant la pompe de la Samaritaine, ils trouvèrent un cabriolet de place. Par la rue Saint-Antoine, il les mena vers la Bastille. Quelques voitures gagnaient comme la leur les lieux de l’émeute. Ils en croisèrent d’autres, dont un chariot militaire, qui emmenaient encore des blessés ou des morts. Aux fenêtres, sur le pas des portes, sur les degrés de Saint-Louis, les gens regardaient. Claude ne remarquait pourtant aucun signe de fièvre, le public semblait passif et morne. Le mouvement de la rue était celui d’une voie populeuse, animée normalement. Le soleil, se

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