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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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couchant à l’opposé, coulait ses rayons dans cette longue tranchée de façades, frisant celles-ci, illuminant à plein, tout au bout, la Bastille. Son massif puissant écrasait de toute sa hauteur, de sa pesanteur, le dôme à clocheton de Sainte-Marie. Derrière cette église, la vieille forteresse surgissait par-dessus la rangée de boutiques bordant ses douves et dissimulant sa base, ses fossés à sec envahis par l’herbe, les déchets, les ordures du voisinage.
    « À quoi sert-elle, maintenant que le Roi a supprimé les lettres de cachet ? demanda Claude.
    — Pas à grand-chose. Il y reste une petite garnison, un gouverneur. Hormis cela, elle doit être à peu près vide. On envisage d’ailleurs de la démolir pour dégager le passage. Avec toute la circulation actuelle, c’est trop étroit, vous pensez ! »
    Ses murs crénelés, flanqués de huit tours, sortaient de l’ombre projetée sur leur pied par les maisons, et se coloraient en s’élevant. Tout le haut du massif, avec les couronnes des tours, le chemin de ronde en surplomb sur les mâchicoulis, se teignait d’un rose d’or. Sur le ciel bleu-vert très pâle, il semblait bouger, courir à l’inverse des nuages. Au-dessous, la porte Saint-Antoine, accotée au bastion, dressait ses trois arches et son fronton bizarrement encadré par deux flèches fort pointues.
    Le fiacre la franchit, traversa l’enceinte en demi-rotonde qui dominait un reste des anciens fossés de Paris, vides eux aussi, herbeux, puis s’engagea dans le faubourg. Il y fut bientôt arrêté par l’agglomérat des véhicules dans lesquels étaient venus maints curieux. On avait retiré la troupe. Seul le guet, armé du sabre et de la pique, contenait le public – sans la moindre difficulté. Le calme régnait à présent.
    Dubon et Claude, ayant mis pied à terre au coin de la rue Saint-Bernard, purent contempler la demeure de Réveillon. Par les fenêtres, par la devanture démolie sortaient des fumerolles. Des cicatrices que les balles avaient creusées dans le calcaire criblaient de blanc la façade enfumée. Partout les mêmes traces se retrouvaient, avec des éclaboussures sanglantes, sur les murs des maisons, à la jonction de la rue de Montreuil et du faubourg. C’étaient de petites bâtisses qui s’étageaient en s’adossant aux grands immeubles dont la perspective fuyait vers la barrière du Trone. On voyait là-bas, au fond de la place, ses deux colonnes monumentales derrière lesquelles s’étendaient les frondaisons bleuâtres du bois de Vincennes. Quelques cadavres de chevaux, les jarrets coupés, baignaient encore dans les mares de leur sang.
    Contre la première des petites demeures, la plus basse, courait une treille hachée par les projectiles. À la place des feuilles, les mouchetures pourpres y mettaient comme des grappes. Près du cep, sur la pierre crayeuse, une main avait laissé en rouge son empreinte. Les émeutiers, expliquait un témoin, s’étaient retranchés sur ces toits facilement accessibles. De là, ils faisaient pleuvoir des pierres, des briques, des tuiles sur les soldats.
    Claude, le cœur quelque peu soulevé par les traces du carnage, s’enquit cependant.
    « Parmi le peuple, se trouvait-il des armes à feu ?
    — Oui, monsieur. Des toits, on tirait avec des pistolets.
    — Ces gens, observa Dubon, les avaient peut-être pris aux fontes des chevaux renversés.
    — Peut-être, par la suite, mais dès après la première décharge on a riposté à la troupe par des coups de feu.
    — Donc, tout cela ne se serait point fait sans quelque préparation.
    — Assurément non, monsieur. Il y a là-dedans des choses excessivement bizarres. Laissez-moi vous dire que, hier soir, M. Réveillon, auquel j’étais allé offrir de prendre refuge chez moi, n’y comprenait rien lui-même. Il m’a juré ses grands dieux qu’il n’avait jamais eu la moindre pensée de réduire les salaires. Et je le crois. Enfin, il est sauf, lui ; tant mieux car c’est un honnête homme. Mais le voilà ruiné à plat. Et tout ce sang versé ! tous ces morts ! On en a compté cent trente, messieurs, avec plus de trois cent cinquante blessés. Pour quoi ? pour quoi, mon Dieu ! Aucun de ces malheureux n’a cherché à savoir ce que le manufacturier voulait faire. Nul n’a tenté de se renseigner, de parlementer. Ils auraient pu lui envoyer une députation. Non, ils sont arrivés, entraînés par des furieux criant : « À mort

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