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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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sérieuse, s’en prenaient au duc d’Orléans, le propriétaire de ce Palais-Royal, le grand maître de la franc-maçonnerie, l’homme le plus riche de France. D’où devaient provenir, sinon de lui, les écus trouvés sur certaines victimes de l’émeute ? Qui, sinon lui, ou du moins ses agents, avait pu soudoyer la canaille des bas-fonds, ramasser la tourbe d’étrangers ou de chômeurs arrivés de province depuis l’hiver, couchant dans les carrières de Montmartre, cherchant aubaine ou rapine ? Ne l’avait-on pas vu en personne paraître dans le faubourg aux acclamations de la populace ! Il aurait sans peine prévenu l’effusion de sang. Il s’en était gardé. Tout lui semblait bon pour déconsidérer son cousin, le montrer impuissant à gouverner le royaume, et se faire porter sur le trône par le peuple en sédition.
    « Tiens, te voilà ! » dit une voix avec un accent limougeaud, tandis qu’une main se posait sur le bras de Claude.
    C’était Montaudon, accompagné de sa belle. Fernand en eut le souffle coupé. Une jeune femme éblouissante dans sa robe à rayures bleu sombre et blanches, un bouquet au sein, un chapeau de paille à nœud bleu et plumes d’autruche neigeuses sur ses cheveux roux qu’elle portait audacieusement sans poudre et qui descendaient en rouleaux jusque sur ses épaules. Elle sourit avec complaisance en voyant le trouble où elle plongeait ce joli garçon, mais elle se souciait peu d’un coquebin, si gentil fût-il. Elle avait pour l’instant un bon coq de province à plumer, elle lui réservait toutes ses attentions. Claude, du reste, ne s’attarda pas en leur compagnie. Il lui déplaisait de voir Montaudon s’abandonner au plaisir alors que les choses les plus importantes étaient en jeu et que des menaces si redoutables se montraient de toute part.
    La plus dangereuse lui parut être finalement la frivolité, qui dépassait encore la fièvre. Aux Tuileries, au Luxembourg où il alla en compagnie de sa sœur et de sa nièce, il vit la foule parisienne, élégante, oisive, continuer de vivre comme si la plus grande partie de la population ne manquait pas de pain, comme s’il n’y avait jamais eu de tuerie dans le faubourg, comme si enfin on était en ce monde uniquement pour se promener au soleil en exposant de pimpants atours.
    « Mais quoi faire ? » dit Gabrielle.
    Évidemment. Rien d’autre qu’attendre. Attendre que les électeurs parisiens se décidassent à nommer leurs représentants. Attendre que les tapissiers eussent fini de décorer la salle des Menus. Attendre que la « patrie » fût tombée dans une anarchie complète. Claude se demandait si on ne le souhaitait pas.
    Durant ces jours désœuvrés et nerveux, il écrivait beaucoup. De Versailles, il avait envoyé des lettres à ses parents, à Dumas, à Barbou, un article à l’abbé Lambertie sur les retards des États. Dans sa petite chambre sous les combles, il en rédigea un autre relatant la tragédie de la veille, pour mettre les lecteurs limousins en garde contre les provocations, d’où qu’elles vinssent. En même temps, il expédiait à Nicaut un véritable rapport sur le même sujet. Il écrivit de nouveau à Lise, une longue lettre où il lui parlait surtout de Paris. « Si je ne savais que votre cœur préfère à tout autre séjour celui de Limoges, je regretterais de ne vous avoir point avec moi pour vous faire visiter cette ville dangereusement frivole mais dont le brillant vous émerveillerait. » Il lui dépeignait l’animation des promenades publiques, les groupes de « discuteurs » se chauffant au soleil sur la terrasse des Feuillants, aux Tuileries, les orateurs du Palais-Royal, la foule chatoyante, dans les allées et sous les arcades de ce jardin – en notant que l’on voyait des coiffures sans poudre, que les hommes abandonnaient de plus en plus le bicorne ou le tricorne pour le chapeau rond, à coiffe haute en forme de cône tronqué. « Il n’y a plus d’argent, paraît-il, néanmoins les gens, dans les promenades, sont tous vêtus de soie, les femmes portent de l’autruche, et, tandis que la peur de perdre quinze sols par jour fait couler le sang dans le faubourg Saint-Antoine, les restaurants à dix et vingt livres du Palais-Royal, de la rue Saint-Honoré ou de la place des Victoires, n’ont pas assez de tables. Cependant, concluait-il, ni ces curiosités ni les préoccupations ne m’empêchent de penser à vous. J’y songe beaucoup. Je me

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