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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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souviens, je déplore les circonstances et le trouble de ce temps – et aussi, je puis vous l’avouer aujourd’hui, une extrême timidité à votre égard – qui ont fait de moi un si piètre mari. Mais s’il m’en coûte infiniment de vous perdre, je n’en ai pas moins hâte de travailler à votre bonheur. J’en saisirai, que dis-je ! j’en saurai faire naître l’occasion, soyez-en bien sûre, mon amie. »
    Le jour suivant, premier de mai, son beau-frère Naurissane, passant la journée à Paris, vint l’avertir que le Roi recevrait, le lendemain, les députés du tiers. Claude retourna donc à Versailles, l’âme agitée. Enfin, le souverain manifestait l’intention d’entrer en contact avec les représentants de son peuple. Ils allaient se connaître, eux et lui, non plus par ouï-dire mais dans la réalité, dans la chaleur de la présence. Si Louis XVI était tel que de bons esprits se plaisaient à le peindre, l’alliance dont la nation tout entière avait tant besoin se fonderait à l’instant. Ce 2 mai 89 pouvait être un grand jour. Claude était ému d’approcher le monarque dont on disait à la fois tant de bien et tant de mal. On ne connaissait de sa personne qu’un profil sur les monnaies, des portraits plus ou moins fidèles, tirés en gravure. Dans son éloignement, hors des regards vulgaires, il devenait impersonnel, mythique comme les empereurs de la décadence. Transformé en symbole, il avait fini par représenter toutes les fautes, tous les vices de la monarchie absolue. Cette abstraction allait se revêtir de chair, cette impersonnelle effigie se briser pour laisser paraître un homme. On ne demandait qu’à lui rendre au centuple l’amour qu’il donnerait.
    En traversant la cour de Marbre, en gravissant le splendide escalier tout luisant de reflets, en parcourant les galeries où l’on avait sans doute médité de promener longuement les élus pour les bien pénétrer de la majesté royale, Claude n’était qu’attente sensible et impatience. Il ne prêtait guère attention aux statues, aux glaces, aux terrasses aperçues à travers les enfilades de hautes fenêtres, avec une échappée sur le grand canal miroitant au loin, à perte de vue, entre les masses régulières des frondaisons. Ce décor excitait néanmoins en lui, inconsciemment, un respect involontaire, tandis qu’il provoquait les réflexions acerbes de Montaudon irrité par un faste superfétatoire, bien trop coûteux.
    « Voilà où se sont engloutis les deniers de la France, au temps de nos pères. Voilà ce que nous nous épuisons à entretenir. »
    Claude acquiesça machinalement. Ils marchaient tous les deux avec un de leurs plus singuliers compagnons : un vieux Breton, déjà familier à tout le monde. On l’appelait le « père Gérard ». Seul, parmi les députés de sa province, il demeurait fidèle au costume local. Avec ses cheveux sans queue qui lui tombaient sur les épaules, il portait un gilet bleu brodé, de larges braies de velours à côtes et des guêtres. Il avait déclaré très fermement qu’il ne prendrait « point, jamais » l’uniforme imposé aux représentants du tiers état pour les assemblées. Cet esprit d’indépendance plaisait à Claude.
    « Qu’est cela ? » dit soudain Montaudon.
    On n’avançait plus. En avant d’eux, leurs collègues se rangeaient en file, au seuil d’une pièce où ils semblaient s’engager dans un passage étroit. La marche reprit, lentement. À leur tour, ils se rangèrent, Montaudon en tête. Bientôt il poussa une exclamation à mi-voix : « Ma parole ! ce sont des barrières ! »
    C’étaient, en effet, des espèces de balustrades volantes, disposées en couloir à travers un immense salon dont le plafond peint figurait une apothéose d’Hercule. À gauche, on apercevait au-dessus des têtes le haut d’une cheminée gigantesque, orné de têtes de lions en bronze. Au milieu, les députés, le chapeau sous le bras, cheminaient à la queue leu leu entre les barrières. Claude ne comprenait pas. Pourquoi les canalisait-on ainsi ? Où les menait-on ? Progressant avec lenteur, il découvrit sur sa gauche, par-dessus l’épaule du père Gérard qui le précédait, un demi-cercle de personnages tournant le dos à la cheminée. De plus près, les riches vêtements, les poignées d’épées lui prouvèrent que c’étaient là des courtisans. Tout à coup, il vit en avant d’eux, seul, détaché, un homme. Un gros homme

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