Lancelot du Lac
sans en demander davantage, mais toujours aux aguets, prit la lance et cria ce qu’elle venait de dire. Aussitôt, surgit de la grotte un colosse armé de pied en cap, tout habillé de noir, monté sur un cheval de même couleur. En le voyant, Lancelot ne fit pas un seul geste : il demeura immobile, comme figé sur place, sans même donner un coup d’éperon à son cheval. Alors, l’homme noir bondit sur lui à bride abattue et brisa sa lance contre son bouclier qui vola en éclats. Lancelot ne broncha pas et l’homme noir venant se mettre à ses côtés le saisit de ses bras puissants, l’enleva comme un fétu de paille et le posa sur l’encolure de son propre cheval. Puis, calmement, au petit trot, il pénétra à l’intérieur de la grotte.
Ils descendirent une longue pente au bout de laquelle se trouvait une immense salle largement éclairée, semblait-il, par la lumière du jour. La grotte avait été en effet creusée sous une prairie et une grande roche naturelle qui dominait la mer. Du côté de la mer, il y avait de beaux étages, des portes, des colombages et des fenêtres d’où provenait la lumière. Et comme trois faces donnaient sur le rivage, la grotte était éclairée tout le jour. C’est dans cette salle que s’arrêta l’homme noir. Il saisit Lancelot, le déposa à terre puis, piquant des deux, disparut dans un grand couloir.
Deux jeunes gens se présentèrent alors et entreprirent de désarmer Lancelot. Ils lui prirent son bouclier, du moins ce qu’il en restait, ôtèrent son heaume, firent glisser son haubert. Ils n’oublièrent pas davantage de lui retirer son épée et enfin, de lui arracher la lance qu’il tenait toujours dans sa main crispée. Sur-le-champ, Lancelot retrouva ses esprits et comprit en même temps que la lance avait été ensorcelée. La jeune fille l’avait abusé de façon qu’il ne pût opposer aucune résistance. Il regarda autour de lui : une grille infranchissable barrait l’entrée retenant Lancelot prisonnier. La rage lui vint au cœur. « Me voilà bien ! On s’est saisi de moi par trahison ! J’aurais dû me méfier des merveilles de Rigomer. Bien mieux aurait valu pour moi être lardé de coups plutôt que de pourrir ici, et pour combien de temps ? On me l’avait bien dit, que Rigomer était maudit ! »
Tout en se lamentant, Lancelot se mit à déambuler. Quittant la salle, il s’engagea dans un couloir éclairé par de belles fenêtres. Mais elles étaient munies d’énormes barreaux de fer impossibles à tordre ou à desceller. Il revint donc sur ses pas, maugréant contre son mauvais sort et ruminant sa honte. C’est alors qu’apparut une autre jeune fille, très blonde, avec des tresses, vêtue d’une robe de soie verte, et tenant à la main une baguette et un anneau d’or pur. « Lancelot ! Dieu te sauve ! dit-elle d’une voix forte et claire. Ma maîtresse te salue. Tu lui as apporté grande joie. Elle est comblée par ta capture, car elle est follement amoureuse de toi et veut t’avoir tout à elle. Elle t’envoie son anneau, par grand amour, avant de te recevoir. Pour l’amour d’elle, prends l’anneau et passe-le à ton doigt. Ainsi verra-t-elle que tu n’es pas insensible au désir qu’elle a de toi ! »
À ces mots, Lancelot laissa éclater sa colère : « Jeune fille, ne me trompe pas davantage. Je ne suis pas ici de mon plein gré et je n’ai nullement besoin d’aggraver ma situation. Que ta maîtresse soit l’amie de qui elle veut, cela m’est complètement indifférent. Je ne veux pas de son anneau si je ne reçois pas l’assurance qu’elle me redonnera mes armes et que je pourrai aller librement où je veux. Seulement dans ce cas elle pourra être sûre que je serai son ami et que j’exécuterai son bon plaisir. » La jeune fille lui répondit : « Seigneur chevalier, c’est impossible ! Ma maîtresse te refusera de porter les armes, car, ici, ce n’est pas la coutume. Puisque tu y es entré, tu n’y auras plus jamais droit. Ne tergiverse donc pas davantage ! Passe cet anneau à ton doigt et n’irrite pas ma maîtresse. Elle me l’a dit elle-même : si elle te prive de son amour, attends-toi à de bien pires propositions ! »
Le doute, une fois de plus, assaillit Lancelot. Fallait-il accepter ou refuser ? « Si je cède, pensa-t-il, et que je trouve pis qu’auparavant, j’aurai bien tort, et je serai encore plus malheureux. Mais si je refuse l’anneau, il m’arrivera, si
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