Lancelot du Lac
compte qu’il courait un grave danger. Il se trouvait dans un pays qu’il avait conquis par la force, au milieu de gens qui le haïssaient, et il n’avait plus, pour se défendre, que ce qui lui restait des hommes de la Terre Déserte qu’il avait amenés avec lui. Mais il ne perdit pas courage ; en vieux lutteur qu’il était depuis toujours, il jeta un haubert sur son dos, laça son-heaume, pendit son bouclier à son cou, ceignit son épée et prit une hache au fer tranchant et au manche renforcé. Ainsi équipé, il se fit voir à l’une des fenêtres du palais.
« Pharien ! cria-t-il d’une voix puissante, que me veulent tous ces gens ? – Roi Claudas, répondit Pharien en dominant le tumulte, tous ces gens et moi-même voulons que tu nous rendes nos vrais seigneurs, les fils du roi Bohort, à qui tu as juré de restituer ce royaume sous ta protection ! – Je refuse de céder ! répondit Claudas. Que chacun fasse du mieux qu’il pourra, car les fils du roi Bohort ne vous seront rendus que si vous les prenez par la force ! »
Le brouhaha s’amplifia. Le palais de Claudas était entouré d’une foule hostile qui criait des injures à l’encontre de celui qui retenait injustement les fils du roi légitime. Pharien s’efforçait de mettre un peu d’ordre dans la troupe hurlante qui l’avait suivi, mais son neveu Lambègue, avec la fougue de sa jeunesse, était plutôt tenté d’exciter la foule en proférant des menaces de mort contre l’usurpateur. De son côté, Claudas avait recouvré tout son sang-froid ; il avait ameuté la garde de ses fidèles et se préparait à une défense énergique. Bientôt, les arcs, les arbalètes et les frondes entrèrent en action. Une grêle de flèches et de pierres s’abattit sur les murailles, brisant quelques fenêtres et meurtrissant la toiture. Mais lorsque Claudas s’aperçut que ceux du dehors s’apprêtaient à mettre le feu à la porte, il la fit ouvrir, et, accompagné des siens, il sortit à pied, la hache au poing, et il commença à frapper à si grands coups que les assaillants reculèrent.
À le voir ainsi mettre à mal les courageux volontaires qu’il avait entraînés, Lambègue sentait la colère le gagner. Il fit amener son cheval, l’enfourcha, et muni de toutes ses armes, heaume sur la tête et lance pointée en avant, il chargea Claudas à bride abattue. Il le frappa si durement de son fer qu’il lui traversa l’épaule. Mais son cheval, emporté par son élan, vint heurter le mur de la tête et tomba raide mort, tandis que lui-même, tout étourdi par le choc, demeura un long moment étendu à côté de sa malheureuse monture. Cependant, Claudas, le tronçon de la lance dans l’épaule, perdant son sang en abondance, s’adossa à la muraille, sous une pluie de pierres et de flèches, et bientôt s’affaissa sur les genoux. Lambègue, qui avait réussi à se relever, courut à lui l’épée à la main, pour l’achever. C’est alors que Pharien intervint et saisit le bras de son neveu. « Que veux-tu faire ? demanda-t-il. Veux-tu tuer un homme blessé qui a été l’un des meilleurs chevaliers et des meilleurs princes de ce temps ? » Rouge de colère, Lambègue se retourna vers son oncle : « Comment, traître ? s’écria-t-il. Prétendrais-tu sauver celui qui s’est servi de toi et qui veut tuer les fils de notre seigneur le roi Bohort ? Certes, tu n’es plus qu’un vieil homme incapable de combattre pour une juste cause ! »
Pharien tenait toujours le bras de Lambègue d’une main de fer. « Tais-toi, beau neveu ! dit-il. Quelque méfait qu’il ait commis, le roi Claudas est blessé, incapable de se défendre. De plus, je me suis engagé envers lui et je ne peux admettre qu’il soit tué tant qu’il n’a pas tenté une chose déloyale contre moi-même. Je lui ai fait hommage, je le regrette, mais c’est ainsi, je ne peux le nier. Donc mon devoir est de le garantir de la mort et de toute honte selon mes forces. En cela, je ne cherche que le salut des enfants du roi Bohort, parce qu’ils sont les fils de mon ancien seigneur, et ne veux que les aider à reconquérir leur royaume ! »
Claudas l’entendit bien. Il se mit à crier comme quelqu’un qui a grand-peur pour sa vie : « Beau doux ami, merci ! Voici mon épée. Je te la rends comme au plus loyal chevalier qui soit. Et je te livrerai les enfants. Mais sache bien que mon intention n’a jamais été de leur faire du mal ! » Ces
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