Lancelot du Lac
que vous décidez. »
Tous ceux qui étaient présents eurent de longs colloques. Après quoi, ils revinrent auprès de Pharien, lui disant qu’ils se rangeaient à son avis. Ils jurèrent sur les saintes reliques de respecter la vie de son prisonnier. Mais Lambègue s’était éloigné afin de ne pas prononcer le serment. Et quand il vit entrer Claudas accompagné de son oncle dans la tour où logeaient naguère les fils du roi Bohort, il n’y put tenir : il saisit un épieu qui se trouvait là, sur un râtelier, et il en frappa le roi en pleine poitrine, avec une telle force qu’il faussa son haubert et que Claudas, déjà affaibli par sa blessure, tomba sur le sol et rendit l’âme. Aussitôt, Pharien dégaina l’épée que son prisonnier lui avait remise, et qu’il tenait à la main : d’un seul coup, il fendit le heaume de son neveu et lui déchira la joue en s’écriant : « Ah, traître ! tu es mort ! Certes, tu m’as déshonoré et tu me feras tenir pour félon ! Je dois te punir pour le meurtre de Claudas ! »
Lambègue était tombé. Pharien se précipita sur lui dans l’intention de lui enfoncer son épée dans la gorge. Mais la femme de son neveu courut se jeter aux pieds de Pharien, le suppliant d’épargner la jeunesse de son mari. « Tue-moi plutôt, dit-elle, car il ne mourra pas sans moi devant mes yeux ! » Ce geste et cette supplication eurent pour effet de faire tomber la colère de Pharien. Il songea que, dans le passé, il n’avait rien eu à reprocher à Lambègue, et, prenant pitié de son neveu, il lui pardonna l’offense qu’il venait de lui faire, et il dit à sa femme de le soigner. Puis il murmura, aussi bien pour lui-même que pour les autres : « Je voudrais quand même bien savoir ce que sont devenus les fils du roi Bohort… »
Ce qu’il ne savait pas, c’est que ceux-ci étaient sains et saufs. Saraïde, la belle suivante de la Dame du Lac, avait quitté discrètement la cité de Gaunes, menant en laisse ceux que chacun prenait pour des lévriers. Elle gagna une forêt toute proche où elle avait laissé ses compagnes. Quand celles-ci la virent revenir blessée au visage, elles furent bien étonnées, mais sans plus attendre, elles la pansèrent et lui appliquèrent un onguent qui arrêtait le sang. Puis Saraïde plaça l’un des lévriers sur son cheval, demandant à l’une de ses compagnes de prendre l’autre sur l’arçon de sa monture. La petite troupe se mit en route et chevaucha à grande allure sur les chemins tortueux de la Bretagne armorique. Elle ne s’arrêta que pour la nuit afin de prendre un repos mérité. Alors, Saraïde prononça des paroles mystérieuses et rompit l’enchantement qu’elle avait jeté sur les enfants. En voyant apparaître deux beaux garçons à la place des deux lévriers, les suivantes de Saraïde furent bien ébahies. « Eh bien, ne pensez-vous pas que nous avons pris là un bon gibier ? leur demanda Saraïde en riant. – Certes, répondirent-elles, la proie est bonne et belle. Mais dis-nous : quels sont ces deux beaux enfants ? » Elle ne voulut rien révéler et se contenta de recommander que les garçons fussent choyés avec tous les honneurs dus à leur rang.
Le lendemain, Saraïde se remit en route avec sa troupe, et après avoir longtemps chevauché, elle parvint enfin au lac de Diane. Lorsque la Dame du Lac vit les fils du roi Bohort, elle fut plus heureuse qu’on ne saurait le dire. Quant à « Beau Trouvé », bien qu’il ignorât que les nouveaux arrivés étaient ses cousins germains, il leur manifesta immédiatement grande sympathie. Dès le premier soir, les trois garçons mangèrent dans la même écuelle et partagèrent la même chambre.
Pendant plusieurs années, les fils du roi Bohort et le fils du roi Ban vécurent ainsi dans le domaine de la Dame du Lac, et personne ne sut où ils se trouvaient. Ils se livraient aux exercices les plus divers, apprenaient l’art de la chasse, joutaient ensemble. Mais « Beau Trouvé » s’en allait très souvent seul dans la forêt, comme s’il était en quête d’aventures. En fait, comme il savait que ses deux compagnons étaient les fils du roi Bohort de Gaunes, il supportait très mal de ne pas savoir qui il était lui-même. Aussi se retranchait-il dans sa solitude et son intransigeance, ce qui ne l’empêchait pas, lorsqu’il rentrait au palais merveilleux, de se montrer courtois et affable envers Lionel et Bohort et de
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