Lancelot du Lac
close, et aucune trace de vie ne se manifesta ni dans la forteresse ni en haut des murailles. On eût dit l’endroit inhabité. Comme le jeune homme commençait à trouver cela bien étrange, il vit un nain, vêtu d’oripeaux multicolores, surgir d’une touffe de genêts et courir vers les fossés. « Arrête-toi, nain, cria-t-il, et dis-moi qui tu es ! » Le nain s’arrêta net, et, se retournant vers lui, rétorqua : « Ne serait-ce pas plutôt à toi de dire qui tu es ! – C’est facile, je suis Fils de Roi ! » L’autre se mit à rire. « En vérité, dit-il, nombreux sont ceux qui sont venus ici et qui ont prétendu être fils de roi. Nous conservons précieusement leurs têtes dans une salle de la forteresse ! » À ces mots, le jeune homme sentit grandir son irritation. « Nain ! cria-t-il, ouvre-moi la porte de cette forteresse afin que j’aille parler à ton maître ! – Nous n’avons pas de maître ! répondit le nain, et nous nous en passons fort bien. – Dans ce cas, accorde-moi au moins l’hospitalité ! » Le nain s’esclaffa : « Pour qui te prends-tu ? Ici, nous ne faisons entrer que ceux qui en valent la peine. Or, tu n’es qu’un valet ignorant qui sait tout juste se tenir sur son cheval ! – Ah, vraiment ! Eh bien, prends garde qu’il ne t’arrive malheur, maudit nain ! »
Ce disant, le fils du roi Ban éperonna son cheval si rudement que celui-ci bondit en avant vers le nain. Il avait tiré son épée et la brandissait, près de frapper l’étrange créature qui le narguait. Mais le nain se mit à courir en zigzag dans la prairie, tant et si bien qu’il parvint au fossé sans avoir été autrement inquiété, puis d’un seul bond, il sauta par-dessus l’eau et se retrouva agrippé aux pierres de la muraille qu’il escalada rapidement. Puis, arrivé au sommet, il se retourna, tira la langue et s’écria : « Pauvre valet qui ne sait même pas se servir d’une épée ! Tu la fais tournoyer comme un bouffon le fait de sa marotte ! Qui donc t’a appris à t’en servir de cette façon ? Je vois que tu n’es même pas capable de te défendre lorsqu’on t’attaque. Allez ! Passe ton chemin et ne reviens jamais dans ces parages, car il t’arriverait malheur et honte ! » Et le nain disparut de l’autre côté de la muraille.
Au comble de la fureur, le protégé de la Dame du Lac fit encore une fois le tour de la place forte mais il n’y décela âme qui vive. Alors, avant de s’éloigner, il se retourna et hurla : « Qui que vous soyez, je vous avertis que je reviendrai un jour et que je me vengerai de cette insulte ! Je suis Fils de Roi et je vous ferai payer cher vos railleries et votre manque de courtoisie ! Sachez-le : on ne me provoque pas sans que je donne une réponse, tôt ou tard ! » Et, piquant des deux, il traversa la plaine. Parvenu à la lisière d’une forêt, il aperçut des paysans qui sarclaient. Ralentissant son allure, il s’approcha d’eux et leur demanda quel était le nom de la forteresse qu’on voyait à l’horizon et quel en était le maître. « Cette forteresse, nous la nommons Pluris, répondirent-ils. Quant à son maître, nous ignorons qui il est car nous ne l’avons jamais vu. » Ils partagèrent leur pain avec le jeune homme, et celui-ci, après les avoir remerciés, reprit sa route, droit devant lui.
Le jour suivant, comme il chevauchait à travers une forêt, tout pensif, il vit venir à lui un cavalier d’allure très jeune, monté sur un beau palefroi, qui tenait un faucon sur son poing. Sa première réaction fut de tirer son épée et de la brandir. Mais, le cavalier, ayant aperçu son geste, se mit à rire franchement. « Par Dieu tout-puissant, dit-il, que voilà un garçon prêt à tout ! Sache, mon ami, que je n’ai aucune intention hostile envers toi. En aurais-je eu que j’aurais eu raison de toi aussitôt, car tu me parais bien maladroit. Qui donc t’a appris à manier l’épée ? – Personne, répondit le jeune homme, mais je n’ai pas besoin d’apprendre. » L’autre se mit à rire encore plus fort. « J’aime ton audace et ta présomption, dit-il, mais cela ne suffit pas pour assurer ta sécurité. Je vois bien que tu es inexpérimenté au combat. Tu sais peut-être te tenir à cheval, tu sais sans doute chasser avec un javelot et des flèches, mais tu ignores le maniement d’une épée. C’est normal, tu es encore bien jeune. Allons, quitte cette attitude.
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