Lancelot du Lac
prestance, elle était tourmentée par la violente envie de partager la couche de l’un d’eux. Et ce désir l’oppressait si fort qu’elle était prête à toutes les audaces. Elle s’assit donc sur le lit d’Orphilet qui se trouvait le plus près de la porte, se pencha vers lui et lui murmura d’étranges paroles. Elle attendait, chuchota-t-elle, depuis si longtemps la venue d’un homme tel que lui. Bien souvent, elle l’avait vu en rêve et savait très bien que c’était lui qui devait faire son bonheur. Tout en parlant, elle se rapprochait de lui et entrouvrit la cape qu’elle portait sur sa chemise blanche. Mais Orphilet, n’appréciant guère qu’une femme s’offrît ainsi au premier venu, la repoussa avec rudesse, et la jeune fille faillit tomber sur le plancher.
Elle ne se découragea pas pour autant. Allant cette fois vers le lit de Kuraus, qui se trouvait au milieu, entre ses deux compagnons, elle laissa choir sa cape et s’allongea, le corps frémissant de désir, à ses côtés, glissant à son oreille : « Un guerrier qui désire acquérir de grands honneurs ne doit jamais avoir le cœur faible avec une femme et ne jamais refuser ce qu’elle offre. Je sais qu’un homme ne peut pas être un grand guerrier s’il n’est pas un grand amoureux. Or, je peux te dire sans mensonge qu’on m’a informée que ta virilité est sans égale. Prouve donc ce qu’on raconte sur toi, assouvis ton ardeur sur moi et en moi, aime sans retenue une belle fille qui ne demande qu’à être aimée. Si tu trouves plaisir en une femme qui est prête à toutes les exigences de son amant, alors je serai bien récompensée d’une longue attente, je le sais. Mon père m’a interdit de prendre mari ou amant, car il pense qu’il ne pourrait pas vivre sans moi. Mais je veux me dispenser d’obéir à ses ordres. D’ailleurs, il n’en saura rien ; aussi fais ta volonté. » De plus en plus dévorée par le désir, la fille se montrait de plus en plus pressante. Mais Kuraus, l’ayant laissée parler, demeura insensible à ses avances. Il le lui dit, précisant qu’elle n’avait rien à espérer de lui. « Décidément, dit-elle alors, ta réputation est bien usurpée, et je sais maintenant que tout ce qu’on m’a raconté n’était que mensonge. »
Dans son lit, le fils du roi Ban avait entendu toutes ces paroles. Il n’avait jamais partagé le lit d’une femme et prenait ces propos pour plaisanteries. Mais la fille commençait à se sentir humiliée d’être ainsi repoussée par des hommes qu’elle sollicitait avec une telle ardeur. Elle vint donc vers lui et ôta sa chemise, se glissant toute nue contre son corps. Le jeune homme sursauta et dit : « Fille, puisses-tu rester en paix avec Dieu. Je te l’avoue, je ne connais rien de l’amour, mais, pour rien au monde, je ne voudrais te causer de peine. » Il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers et, comme la fille était experte à ce jeu, ils connurent ensemble le plus grand bonheur jamais vécu par deux amants. Quant à ses compagnons, ils n’apprécièrent guère la démonstration, tout en essayant d’y prêter le moins d’attention possible. La fille du forestier et le fils du roi Ban, quant à eux, furent remplis de la joie et de la plénitude de leur ardeur et jamais femme ne passa plus belle nuit aux côtés d’un homme. Cependant, le jeune homme ne put oublier qu’elle n’était venue à lui qu’après s’être offerte d’abord à ses deux camarades.
Tous finirent par s’endormir alors que l’aube commençait à poindre. C’est alors que Galagandreiz fit irruption dans la chambre, fou de colère. « Qui donc a pris ma fille ? » hurla-t-il, réveillant tout le monde en sursaut. La fille s’étant aussitôt cachée sous son amant, Galagandreiz bouscula tous les lits et finit par l’apercevoir. Furieux, il brandit un poignard et voulut en frapper le fils du roi Ban. Celui-ci esquiva le coup, se glissa hors du lit, prit son propre poignard et se dressa contre le forestier. Ainsi s’engagea une lutte sans merci, mais l’agilité du jeune homme eut bientôt raison de la force de Galagandreiz qui s’effondra mort, percé de toutes parts. Ainsi périt le forestier qui ne voulait pas que sa fille eût un mari ou un amant, et qui la retenait de force dans sa demeure.
Cependant, le bruit de la lutte avait attiré tous les habitants du château. Ils arrivèrent en foule dans la chambre et virent leur maître
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