Lancelot du Lac
Je ne te veux aucun mal. Qui es-tu donc et où vas-tu ainsi ? – Je suis Fils de Roi et vais combattre l’enchanteur Iweret de Dodone ! – Je ne sais pas qui est cet Iweret dont tu parles, mais puisque tu es Fils de Roi, je t’invite dans ma demeure. On m’appelle Geoffroy de Liesse. Viens avec moi. Tu ne le regretteras pas, car je te donnerai nourriture et breuvages autant que tu voudras et je t’apprendrai à manier l’épée. »
Le fils du roi Ban suivit Geoffroy de Liesse jusqu’à son château qui se dressait sur un promontoire, devant un grand lac entouré de beaux arbres. Là, il fut accueilli avec amabilité et prévenance par les sœurs du cavalier, trois jeunes filles très belles qui s’empressèrent de le désarmer, de le faire baigner et de lui procurer des vêtements dignes de lui. Ils soupèrent en abondance et allèrent se coucher. Le lendemain, à la jeunesse du jour, Geoffroy dit à son hôte : « Puisque tu t’es reposé, il faut maintenant que je te donne des conseils sur la façon dont tu dois te servir de ton épée. Je pense que cela te sera utile si tu veux aller jusqu’au bout de ton projet, celui d’aller vaincre l’enchanteur Iweret, quel que soit celui-ci, car je n’ai jamais rien entendu dire à son sujet. »
Le fils du roi Ban était suffisamment raisonnable pour se rendre compte qu’il lui fallait beaucoup apprendre dans l’art du maniement des armes. Jusqu’alors, il n’avait fait que chasser au javelot et à la flèche et, s’il avait brisé des lances, c’était par jeu, sur un mannequin de bois et de paille. D’épée, il n’en avait jamais eu, à part celle que venait de lui remettre la Dame du Lac, et, du reste, il n’avait jamais engagé un combat contre un adversaire véritable. Geoffroy de Liesse lui apprit donc qu’on chassait avec des flèches, qu’on combattait à cheval avec une lance de frêne, ou avec une masse, et que, si l’on voulait se mesurer à l’épée, il était préférable de sauter à bas de son cheval et d’engager le fer sur ses deux jambes. Il se montra un parfait élève, à tel point que Geoffroy ne put cacher son admiration pour son courage et son habileté. L’élève, de son côté, ressentit une grande amitié pour son maître, et apprécia grandement la gentillesse de ses sœurs qui ne savaient que faire pour le choyer.
Étant demeuré trois semaines chez son hôte, il lui demanda congé. « Es-tu toujours décidé à vaincre l’enchanteur Iweret ? demanda celui-ci. – Plus que jamais ! répondit le jeune homme. D’ailleurs, j’en ai fait le serment à la Dame du Lac qui m’a nourri et élevé comme si j’étais son propre enfant. Je dois accomplir ce qu’elle m’a demandé de faire, et je ne peux me dérober. – J’admire ton courage, répondit Geoffroy de Liesse, et je ne peux que te recommander à Dieu. Si je t’ai rencontré, ce n’est pas par hasard. Je t’ai appris certaines choses que tu ne savais pas parce que je devais me trouver sur ton chemin un jour ou l’autre. Tout ce que j’attends de toi, c’est que tu te souviennes de Geoffroy de Liesse. » Le fils du roi Ban fut très ému quand il quitta son hôte. Il sauta sur son cheval et, sans se retourner, s’élança dans la forêt, gardant au fond de son cœur le regret de laisser derrière lui l’homme devenu son ami. Mais il devait poursuivre sa route et savait que rien ne pourrait l’arrêter dans cette course folle.
Il alla, à ce que dit le conte, sur un long chemin qui traversait une forêt vaste et sombre : Quand le soir tomba, il voulut trouver un gîte pour la nuit, et, comme il ne savait où aller, chercha une clairière afin de s’y abriter pendant les heures où le froid se fait sentir. Il suivit un sentier parsemé de ronces et d’ajoncs et déboucha dans une vallée où serpentait un torrent dont les eaux dévalaient de cascade en cascade. Il entendit du bruit et arrêta son cheval. Devant lui, dans un pré, deux hommes combattaient à pied, leurs épées dressées vers le ciel, comme de vrais champions. Mais l’histoire n’a pas oublié leurs noms : l’un s’appelait Kuraus au Cœur brave. Il venait du pays de Gagune où, par ses mérites, il avait acquis une indiscutable renommée. L’autre était nommé Orphilet le Beau, et lui aussi avait acquis la gloire en l’île de Bretagne pour défendre l’honneur de la femme qu’il aimait. Or, on disait aussi qu’Orphilet appartenait à cette compagnie que
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