Lancelot du Lac
qui ne demandent qu’à s’entraider les uns les autres. Sache que mon nom est Ade (21) et que je suis fille de la sœur de Linier. »
Pendant qu’elle parlait, le fils du roi Ban ne cessait d’admirer la perfection du visage de la jeune femme et la prestance de son corps. Elle continua ainsi : « Dès que je t’ai vu, jeune étranger, mon cœur s’est troublé, et c’est par amour pour toi que je t’ai arraché à ceux qui voulaient te faire périr. Mais je ne peux rien contre nos lois, et c’est pourquoi tu as été enfermé dans cette tour. Cependant, je vais te révéler comment tu pourras te sauver : lorsqu’on viendra te tirer de cette prison, on te conduira dans un champ clos en dehors de la ville. Là, tu devras combattre un cruel géant qui n’a jamais fait de quartier à quiconque. Si tu réussis à le vaincre, deux lions affamés t’assailliront, mais si tu parviens à les maîtriser, mon oncle lui-même, le fier Linier, qui est le plus redoutable guerrier que l’on connaisse, bien qu’il soit le plus pacifique de tous les hommes de ce monde, t’affrontera. Et je t’avertis que c’est à mains nues, sans armes, que tu devras combattre. Si tu es vainqueur, je te donnerai mon amour et tout ce que je possède. » Ayant ainsi parlé, la belle Ade quitta la tour, plongeant le fils du roi Ban dans une étrange rêverie.
Le lendemain matin, on vint en effet le chercher et il fut conduit, sous bonne escorte, à travers les rues de la ville, jusqu’à un champ clos qui avait été aménagé sous les murailles. Là, il se trouva en présence d’un terrible géant armé d’une massue qui, sans plus attendre, se précipita sur lui. Le fils du roi Ban esquiva l’attaque, recula pour mieux sauter et frappa de toute la force de ses poings le crâne de son adversaire. À sa grande surprise, le géant vacilla et s’affala de tout son long pour ne plus bouger. Alors, il vit surgir les deux lions affamés qui rugissaient de contentement. Sans perdre son sang-froid, il bondit sur le dos du premier et mettant ses bras autour du cou de l’animal, il réussit à l’étouffer en quelques instants. Puis il fit de même avec le deuxième. La foule qui s’était pressée autour manifesta bruyamment sa joie de voir le jeune homme triompher aussi aisément des épreuves qu’il devait subir. Il n’en était pas pour autant au bout de ses peines, car le comte Linier, furieux de voir qu’il avait échappé au géant et aux lions, entrait à son tour en lice, sans armes, mais prêt à l’assommer de toute sa puissance quand il manifesterait la moindre défaillance.
Le combat fut rude et impétueux. Le comte Linier usait de tout son poids pour tenter de faire tomber le jeune homme ; mais celui-ci, grâce à sa souplesse et à son agilité, échappait à son adversaire chaque fois que ce dernier pensait le broyer entre ses bras puissants. Or, à force de tournoyer autour du comte, le fils du roi Ban finit par l’étourdir, ce qui lui permit finalement de l’assommer. Le comte s’écroula sur le sol et ne bougea plus. La foule se mit à hurler. Alors la belle Ade vint vers lui : « Tu es vainqueur, jeune étranger, et il avait été dit que lorsque le comte Linier serait vaincu dans un combat singulier, il perdrait toute autorité sur ce pays. C’est donc toi le maître, à présent. Dis-nous quel est ton nom. – Je suis Fils de Roi ! » répondit le jeune homme. Il y eut des acclamations dans la foule. « Eh bien, Fils de Roi, dit la belle Ade, tous les habitants de ce pays et moi-même, nous sommes entièrement à toi. » Et, le soir même, après la fête, le fils du roi Ban retrouva la belle dans son lit.
Mais au bout de quelques jours, rassasié de fêtes et de festins, la tristesse s’empara de nouveau de lui ; il songeait qu’il lui fallait vaincre l’enchanteur Iweret et délivrer le frère de la Dame du Lac. Le voyant l’âme en peine, Ade lui demanda quelle en était la raison. Il la lui donna. « Je ne connais pas l’enchanteur Iweret, dit-elle, ni le lieu où il réside, et je n’ai jamais entendu parler d’un homme du nom de Mabuz, ni d’une forteresse qui porte le nom de Chatelmor. Cependant, pour t’être agréable, je partirai avec toi et avec mon frère pour t’aider à mener à bien la mission qui t’a été confiée. »
Le lendemain matin, tous trois quittèrent la ville, montés sur de bons chevaux, et s’en allèrent dans la direction du soleil couchant.
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