Lancelot du Lac
féliciter Lancelot de la victoire qu’il venait d’obtenir. Elle était accompagnée de cent femmes, toutes plus belles les unes que les autres, et qui étaient les amies des chevaliers qu’il venait de combattre. La reine de Pluris l’invita courtoisement à entrer dans son domaine, et elle le conduisit elle-même dans la grande salle où un festin avait été préparé. Il eut en abondance mets et boissons et il fut l’objet de mille attentions de la part de toutes les jeunes femmes présentes. Car il n’y avait plus d’hommes à l’intérieur de la forteresse, en dehors du nain qui s’était moqué de lui et qui semblait commander le service.
Le soir tombait quand le fils du roi Ban demanda à prendre congé de la reine de Pluris. Alors, avec un étrange sourire, la reine lui dit : « Il est hors de question que tu partes. Un homme qui entre dans la forteresse de Pluris ne doit jamais plus en sortir, sauf pour la défendre contre des ennemis. Tu dois demeurer ici. D’ailleurs, par ta bravoure, tu as gagné le droit d’être mon époux, et tu ne dois pas déroger à la coutume qui est établie depuis longtemps : tout homme qui a réussi à vaincre cent chevaliers doit épouser la reine de Pluris. » Fort contrarié, Lancelot comprit qu’il ne pourrait s’en aller que par ruse. Aussi, comme la reine de Pluris était fort belle, il déclara qu’il acceptait volontiers de l’épouser. Et, cette nuit-là, il dormit avec la reine de Pluris.
Lancelot demeura de longues semaines dans la forteresse, auprès de la reine, choyé par toutes les femmes de ceux qu’il avait vaincus et qui étaient toutes amoureuses de lui. Chaque jour, elles chantaient de suaves mélodies, lui offraient des breuvages enivrants qui lui faisaient peu à peu oublier qui il était. La vie était douce dans la forteresse de Pluris, et Lancelot n’avait aucun regret de ceux qu’il avait laissés derrière lui. Et la reine de Pluris était si attirante, avec ses cheveux noirs noués en fines tresses, sa bouche vermeille, ses yeux très sombres et son corps couleur de neige.
Un jour, cependant, comme il se promenait sur les remparts en compagnie de la reine, il aperçut une troupe de cavaliers qui traversaient la plaine et qui vinrent s’arrêter devant la porte de la forteresse. Là, ils menèrent grand bruit et lancèrent des pierres sur la muraille, comme pour les provoquer. À cette vue, le sang de Lancelot se mit à bouillonner. « Reine, dit-il, accorde-moi la permission de reprendre mes armes et d’aller chasser ces intrus ! – Certes, bel ami, ces gens m’offensent et il serait souhaitable de leur donner une bonne leçon. Va, je te prie, et pour l’amour de moi, conduis-toi en héros comme tu l’as déjà fait ! »
Lancelot se hâta et revêtit ses armes. On lui amena son cheval et on ouvrit les portes. Il bondit hors de la forteresse et se dirigea vers les cavaliers. Mais au lieu de les combattre, il les salua haut et fort, leur demandant la permission de les accompagner. Toute la troupe s’ébranla et disparut à l’horizon, au grand désespoir de la reine de Pluris. Et quand Lancelot fut dans la forêt, il prit congé de ses nouveaux amis et s’en alla seul vers le domaine de la Dame du Lac (26) .
4
Le Blanc Chevalier
C’était le vendredi avant la Saint-Jean d’été. Le roi Arthur avait chassé tout le jour dans la forêt de Camelot, en compagnie d’Yvain, le fils du roi Uryen et de plusieurs écuyers. Vers le soir, comme il regagnait la cité avec tous ses gens, il vit venir à lui une compagnie qui ne manqua pas de l’étonner. En tête, deux jeunes filles à pied menaient deux chevaux blancs dont l’un portait un léger pavillon de campement, le plus riche qui eût été fait, et l’autre, deux magnifiques coffres remplis de vêtements. Puis s’avançaient quatre jeunes filles, montées sur des roussins, qui portaient l’une un bouclier argenté, la seconde un heaume également argenté, la troisième une lance, et la quatrième une grande épée, claire, tranchante et légère. Enfin, sur des palefrois de couleur blanche, avec des taches grises sur les flancs, venaient une Dame et un homme jeune, au visage rayonnant, tous deux de blanc vêtus. Car, dans ce cortège, les habits, les armes, les chevaux, tout était blanc.
Le roi s’arrêta, émerveillé, se demandant bien qui était cette Dame d’une si belle prestance. Mais la Dame, qui avait reconnu Arthur, pressa le pas de sa
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