Lancelot du Lac
tous tes défauts et tes qualités. »
Saraïde s’arrêta de parler. Elle avait les yeux humides et elle tremblait. Lancelot lui-même était saisi par l’émotion. « Saraïde, dit-il enfin, que de reconnaissance je te dois, et que de bienfaits m’a procurés ta maîtresse, la Dame du Lac, celle qui m’a servi de mère quand j’étais un enfant en péril de mort ! – Ce n’est rien, dit Saraïde, tout cela était inscrit dans le grand livre des Destinées, et Merlin l’avait prédit depuis longtemps. Mais il faut que tu saches encore une dernière chose, fils de roi, quelque chose que tous les autres, sinon la Dame du Lac et moi-même, ignoreront à jamais : lorsque ton père et ta mère t’ont fait baptiser, ils t’ont donné le nom de Galaad. Mais ce n’est pas ainsi qu’on doit te connaître. Tu es Galaad, c’est certain, mais seulement pour toi, car tu ne dois révéler à personne ce nom secret. Si l’on savait ce nom, on s’emparerait de toi. C’est pourquoi tu dois le cacher à tous ceux qui t’entourent (25) . Tu es Lancelot du Lac, et c’est ton nom de gloire. – Je ferai comme tu dis et j’obéirai à la Dame du Lac », dit encore Lancelot. Saraïde posa un baiser sur son front et murmura : « Dès que tu le pourras, viens trouver ma Dame. Elle a encore bien des choses à te dire. » Et sans ajouter une parole, sans se retourner, Saraïde monta sur sa mule et s’en alla.
Lancelot demeura quelques semaines en compagnie de la belle Iblis et organisa les trois royaumes du défunt Iweret pour la plus grande satisfaction de tous ses vassaux. Mais il n’oubliait pas que la Dame du Lac l’attendait. Aussi obtint-il son congé d’Iblis qui le regarda partir avec mélancolie. Il s’en alla droit devant lui, sûr de retrouver le chemin qui menait au lac de Diane sous lequel il avait passé son enfance et son adolescence. Heureux de retrouver celle qu’il avait si longtemps considérée comme sa véritable mère, il chanta tout au long de sa route les chansons que les compagnes de la Dame lui avaient fredonnées lorsqu’il s’endormait le soir dans le palais féerique où tout était transparent comme le cristal. Mais, en débouchant soudainement dans une plaine, reconnaissant la forteresse de Pluris, à proximité de laquelle un nain s’était moqué de lui et dans laquelle il n’avait pu pénétrer, il se souvint d’avoir alors juré de se venger de l’affront qu’il avait subi.
Il s’élança donc résolument vers la forteresse et en fit le tour au galop. Il n’y avait qu’une seule porte, et elle était fermée. Il s’arrêta devant le pont-levis. « Y a-t-il quelqu’un ? » s’écria-t-il avec colère. Au bout d’un moment, il vit la herse se lever. La porte s’ouvrit et une jeune fille vêtue de noir apparut. « Que veux-tu donc, étranger ? demanda-t-elle. – Je réclame l’hospitalité dans cette forteresse, dit Lancelot. Je suis un voyageur égaré et je voudrais trouver un endroit pour passer la nuit. – C’est impossible, répondit la jeune fille. Cette forteresse appartient à ma Dame, la reine de Pluris, et elle interdit l’entrée de son domaine à tout homme, à moins qu’il ne consente à combattre cent guerriers en combat singulier. – Eh bien, soit ! dit Lancelot, je suis prêt à combattre cent guerriers, mais je veux entrer dans cette forteresse ! – Reviens demain matin », dit la jeune fille. Et elle rentra à l’intérieur, la porte se refermant sur elle.
Lancelot s’en alla dormir au pied d’un arbre, à la lisière de la forêt. Le matin, à la pointe du jour, il alla se désaltérer à une fontaine qui jaillissait entre les racines d’un chêne et revint vers la forteresse de Pluris. Il aperçut, sur le pré, devant les murailles, une centaine de chevaliers qui l’attendaient, armés de pied en cap, et sur le sommet de la muraille, autant de femmes qui étaient installées, sans doute pour voir comment se déroulerait le combat. Il ne se découragea pas pour autant, entra dans le champ clos qui avait été préparé et provoqua le premier homme qui se trouvait devant lui. Au bout de quelques passes, il le renversa. Et il fit de même avec tous ceux qui se présentèrent. Les derniers ne se battirent même pas : ils mirent pied à terre devant Lancelot et déclarèrent qu’ils le reconnaissaient comme vainqueur.
Alors les portes de la forteresse s’ouvrirent toutes grandes, et la reine de Pluris en personne vint
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