Lancelot du Lac
sauvages contre l’audacieux qui osait ainsi le défier et prétendait lui enlever sa fille. Parvenu dans la clairière, il aperçut le fils du roi Ban debout près de la fontaine et demanda d’une voix forte : « Qui a frappé trois fois cette cymbale ? – Moi », répondit simplement le jeune homme. La voix d’Iweret devint plus rauque : « Pourquoi as-tu agi ainsi, jeune présomptueux ? – J’y étais obligé ! – Tu es bien jeune pour te mesurer à moi. Cependant, acceptes-tu l’aventure ? – Oui, je le veux, assurément, et rien ne pourra me faire changer de décision ! – Mais, reprit Iweret, tu n’es pas capable de me défier au combat ! – Je le peux, s’entêta le jeune homme. – Qu’espères-tu donc gagner ici ? demanda Iweret. – Une belle femme et ton royaume ! » répondit froidement le fils du roi Ban. Iweret s’esclaffa grossièrement. « Alors, en garde ! et défends-toi si tu le peux ! »
Le fils du roi Ban monta en selle, remit son heaume, et recula jusqu’aux limites de la clairière. Les deux adversaires abaissèrent leurs lances. Le combat fut cruel. Ils luttèrent longuement et fort bien, chacun comprenant qu’il devait vaincre à tout prix avant que l’autre ne pût le tuer. Mais, contrairement à ce qu’il pensait, Iweret se rendit vite compte que la bataille ne serait pas facile à gagner. « Jusqu’à présent, se disait-il, je croyais combattre un enfant, mais je m’aperçois que c’est un homme. Néanmoins, il faudra qu’il paye très cher pour la femme et le royaume, et il en obtiendra de la peine pour le restant de ses jours ! » Leur rage guerrière cependant redoubla, car chacun d’eux voulait en terminer rapidement avec l’autre avant de s’épuiser dans des escarmouches inutiles. Enfin, Iweret reçut un tel coup de lance à travers le corps qu’il tomba comme une masse de son cheval et s’affala lourdement sur le sol. Aussitôt, le fils du roi Ban sauta de son coursier et, avec une agilité déconcertante, ne laissant pas à son adversaire le temps de se relever, il brandit son épée et, d’un seul coup, lui trancha la tête. C’en était désormais fini de l’enchanteur Iweret. La Dame du Lac était vengée et son frère Mabuz délivré de l’enchantement qui faisait de lui un lâche. Le fils du roi Ban reprit un instant son souffle. Il avait accompli sa mission et savait qu’il allait bientôt connaître son nom et ses origines.
Alors, il pensa à la fille du vaincu et se précipita à l’endroit où il l’avait laissée. La belle était allongée sur l’herbe, près de la fontaine, évanouie depuis le début du combat. Il se débarrassa de ses armes, se pencha vers la jeune fille et lui souleva la tête avant de verser sur son visage de l’eau de la fontaine. Elle rouvrit les yeux et aperçut le jeune homme. « Dieu soit loué ! soupira-t-elle, c’est toi ! » Et elle se mit à pleurer. Il essaya de la réconforter du mieux qu’il put et lui dit : « Jeune fille, fais-moi part de ton sentiment : m’aimes-tu vraiment assez pour supporter celui qui vient de tuer ton père ? Ai-je mérité de t’avoir comme épouse ou comme amie ? » Pour toute réponse, elle glissa ses bras autour du cou du vainqueur, puis brusquement, eut un tremblement, suppliant celui qu’elle aimait de l’emmener loin du tilleul, redoutant la colère des hommes de son père.
Ainsi fit le fils du roi Ban. Il souleva la belle Iblis et la mit en croupe sur son cheval ; puis il se dirigea sur le sentier, vers la lisière du bois. À Dodone, cependant, lorsque les hommes d’Iweret apprirent la mort de leur maître, ils manifestèrent tous leur joie d’être débarrassés d’un homme cruel et maléfique qui méprisait les pauvres et rançonnait les riches. Ils se rassemblèrent et partirent à la recherche du vainqueur, afin de lui rendre hommage et de prononcer le serment qu’ils devaient à leur nouveau seigneur. Ils rencontrèrent bientôt le héros et la belle Iblis. Mais quand ils demandèrent quel était le nom de celui qui avait triomphé d’Iweret, ils furent fort déçus d’entendre le jeune homme leur répondre simplement : « Je suis Fils de Roi ! »
C’est alors que s’avança vers eux une jeune fille très belle, vêtue d’une longue robe blanche et montée sur une mule toute blanche elle aussi. Elle piqua droit vers le fils du roi Ban, et celui-ci ne fut pas long à la reconnaître : c’était Saraïde,
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