Lancelot du Lac
fraîcheur et de sa beauté, auprès desquelles même celles de la Dame du Lac et de toute autre femme au monde ne lui semblaient pas comparables. « Par Dieu, se disait-il, voici un visage que je n’oublierai jamais dans mon cœur, un visage qui efface tous les visages de femmes que j’ai pu contempler jusqu’ici. Je suis prêt à faire le serment de n’aimer aucune autre femme que celle-ci, quand bien même je devrais y perdre mon âme ! Et je n’aurai de cesse d’obtenir son amour, tant par mes regards que par les prouesses que j’accomplirai à son service ! » Ainsi pensait le fils du roi Ban de Bénoïc, dans la grande salle du palais où le roi Arthur lui faisait l’honneur de le recevoir.
« Quel est le nom de ce jeune homme ? demanda Guenièvre à Yvain. – Dame, je ne le connais pas. Je pense qu’il est des pays au-delà de la mer, car il en a le parler. » La reine se leva, s’approcha de Lancelot et le prit par la main. Puis elle lui demanda où il était né. Mais, au contact de la main de Guenièvre, Lancelot se sentit défaillir. Une brume épaisse semblait se répandre autour de lui. Il tressaillit mais ne put prononcer un seul mot. « D’où es-tu ? » reprit la reine. Il la regarda sans trop savoir ce qu’il faisait et répondit en balbutiant qu’il ne connaissait ni son nom, ni ses origines. Guenièvre comprit bien qu’il était tout ébahi et hors de lui-même, et elle osait à peine imaginer que ce fût à cause d’elle. Pourtant, elle en eut quelque soupçon. Alors, pour ne pas le troubler davantage, et aussi de crainte qu’on en pensât mal, elle se leva. « Ce jeune homme ne semble pas avoir tout son sens, dit-elle. Qu’il soit sage ou qu’il soit fou, il a été assez mal éduqué ! » Yvain, qui n’avait pas été dupe du trouble dans lequel la rencontre de la reine avait plongé le jeune homme, crut bon d’intervenir : « Qui peut savoir, dit-il, s’il ne lui est pas interdit de révéler son nom et son pays ? – C’est bien possible », répondit la reine. Mais elle avait parlé si bas que Lancelot ne l’entendit pas. Et, sur ce, elle quitta la salle pour regagner sa chambre. Mais, à la porte, Morgane souriait étrangement. « Cet homme, Guenièvre croit l’avoir pour elle seule, se disait-elle, mais c’est moi qui le veux, et c’est moi qui l’aurai… »
Au même moment, elle sentit l’anneau qu’elle portait au doigt se resserrer et elle poussa un cri de douleur. C’était l’anneau que lui avait donné Merlin avant de s’en aller vers la forêt de Brocéliande. Alors, comme Merlin le lui avait dit, elle tourna le chaton de la bague vers elle. Ses yeux se brouillèrent, puis elle aperçut distinctement Merlin qui riait de tout son cœur. « Ah ! Morgane, murmura-t-il, tu ne changeras jamais ! Sais-tu que tu me plais quand je te vois si volontaire, si décidée ? Tu veux ce jeune homme dont tu ignores encore le nom parce que tu as reconnu en lui le seul qui pourrait apaiser tes passions et t’aider à conquérir le monde. Mais tu ne l’auras pas, Morgane, quels que soient les efforts que tu puisses entreprendre pour te l’attacher. Certes, il s’efforcera de conquérir le monde, mais cela ne sera pas pour toi ! » Morgane tapa du pied. « Ce n’est pas dit, dit-elle rageusement, je me souviens de tes conseils et de tes secrets, Merlin, et je m’emploierai à les mettre en pratique. Tu n’es pas infaillible, et il y a en moi un tel désir de vaincre que je suis capable de tout ! – Je le sais, Morgane, et c’est pour cela que je dois t’avertir : laisse tranquille ce jeune homme. Il ne t’est pas destiné ! » Morgane remit le chaton à sa place d’un geste de colère, et, plus souriante que jamais, se glissa parmi les familiers de son frère, comme une ombre dans le soleil qui illuminait le palais de Camelot. Peu importait Merlin. Même s’il la surveillait, de très loin, depuis sa tour d’air invisible, elle se sentait très forte, prête à affronter tous ceux qui se dresseraient contre elle. N’avait-elle pas le pouvoir , elle aussi ?
La nuit venue, le fils du roi Uryen conduisit Lancelot dans une chapelle où il le fit veiller jusqu’à l’aube. Après quoi, il le ramena en son logis pour qu’il pût y dormir un peu. Dans la matinée, ceux qui devaient être adoubés le jour de la Saint-Jean d’été reçurent du roi la colée. Puis tous s’en allèrent entendre la messe et, en revenant, le roi
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