Lancelot du Lac
dans la forteresse. La première personne qu’il rencontra fut sa sœur Morgane. Celle-ci le salua et lui demanda : « Mon frère, qui est donc ce jeune homme que tu as confié à Yvain ? – Je ne sais pas son nom, mais il se fait appeler le Blanc Chevalier. » Morgane se mit à rire. « Pourquoi ris-tu ainsi, ma sœur ? demanda le roi. Est-ce que par hasard tu le connaîtrais ? » Morgane le regarda bien en face et lui dit : « Je ne me mêle pas de tes affaires, mais si j’étais toi, je ne ferais pas entrer ce jeune homme parmi mes fidèles ! » Arthur fut très surpris du ton violent qu’avait pris Morgane pour prononcer ces paroles. « Qu’as-tu donc contre lui ? demanda-t-il. – Rien, répondit-elle, je n’ai rien contre lui. Je le trouve simplement merveilleux. – Je suis bien de ton avis, et sache que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour le retenir près de moi. » Morgane éclata de rire une nouvelle fois et s’éloigna en laissant le roi décontenancé.
Le lendemain matin, Lancelot se leva très tôt et, dès qu’il le put, il demanda à rencontrer Yvain qui l’avait hébergé en son logis. « Seigneur, lui dit-il, je te prie de m’obtenir une faveur du roi Arthur. – Bien volontiers, répondit Yvain, que désires-tu, Blanc Chevalier ? – Demain, c’est la Saint-Jean et je sais que le roi adoubera de nouveaux chevaliers. Je voudrais être parmi eux. – Ne crois-tu pas qu’il faudrait que tu fasses d’abord tes preuves ? demanda Yvain. – Je suis prêt à faire mes preuves quand on le voudra », répliqua le jeune homme d’un ton péremptoire qui ne manqua pas d’impressionner Yvain.
Ainsi, au cours de la matinée, le fils du roi Uryen s’en vint trouver Arthur qui conversait avec son neveu Gauvain. « Roi Arthur, dit-il, le jeune homme d’hier soir désire être adoubé demain et il me prie de te transmettre sa demande. – C’est du protégé de la Dame du Lac, ce jeune homme tout vêtu de blanc, dont tu parles ainsi ? demanda le roi. – Oui, répondit Yvain, et je pense qu’il a la trempe pour devenir le meilleur des chevaliers. Il a un regard qui ne trompe pas : il sait ce qu’il veut, et il est prêt à aller jusqu’au bout de ce qu’il a décidé, pour son honneur et pour l’honneur de tous ceux qui sont en sa compagnie. – Quel est donc ce jeune homme dont tu parles ? » demanda la reine Guenièvre qui se trouvait là. Mais au lieu de lui répondre, Arthur dit à Yvain : « Va donc le chercher et dis-lui de s’habiller du mieux qu’il pourra. J’ai idée qu’il a tout ce qu’il faut pour cela. »
Dans la cité, la nouvelle s’était répandue de l’arrivée d’un jeune homme habillé de blanc, qui était venu avec une mystérieuse Dame du Lac en équipage de chevalier, de sorte que les rues se trouvèrent pleines de curieux lorsqu’il traversa la ville, en croupe sur le cheval d’Yvain. Au palais même, les chevaliers, les dames et les jeunes suivantes étaient tous descendus dans la cour pour le voir, tandis que le roi et la reine se penchaient à la fenêtre.
Le Blanc Chevalier mit pied à terre, ainsi qu’Yvain, lequel le prit par la main et le mena dans la salle où le roi et la reine attendaient. Dès qu’il entra, la reine Guenièvre fut sur le point de chanceler tant elle fut émerveillée par la beauté de son visage : on eût dit un ange illuminé par tous les rayons du soleil, avec des traits fins, des pommettes bien visibles, une chevelure abondante qui retombait en boucles élégantes sur ses épaules, une prestance inégalable, une élégance de gestes et de posture. Pourtant – et Guenièvre le remarqua immédiatement –, il avait un regard étrangement dur qui pénétrait tous ceux sur qui ses yeux tombaient. « Que se passe-t-il ? pensa-t-elle, le cœur battant à tout rompre de le voir ainsi, devant elle. Voici que mon esprit se trouble à la vue d’un jeune homme ! Voici que je me sens faible face à lui, et pourtant je suis la reine, je suis sa maîtresse, et je n’ai rien à craindre de lui. Hélas ! j’ai désormais au contraire tout à craindre de lui, je sais très bien que son visage ne pourra jamais plus quitter mon âme. » Ainsi pensait la reine Guenièvre ; mais, de son côté, le protégé de la Dame du Lac n’était pas davantage à l’aise. Chaque fois qu’il pouvait jeter les yeux à la dérobée sur la reine, et il ne s’en privait pas, il s’émerveillait de sa
Weitere Kostenlose Bücher