Lancelot du Lac
monture et s’avança vers lui en compagnie du jeune homme. Elle était vêtue d’une cotte et d’un manteau de soie brodée d’or, et son cheval, élégant et racé, avait une housse de soie qui descendait jusqu’à terre, un frein et un poitrail en argent fin, une selle et des étriers d’ivoire subtilement gravés de volutes et de torsades. Dès que la Dame arriva devant le roi, elle releva son voile et, après lui avoir rendu le salut qu’il s’était hâté de lui faire le premier, en homme courtois et bien élevé qu’il était, elle dit : « Seigneur, que Dieu te bénisse comme le meilleur des rois de ce monde ! Je viens de bien loin pour te demander un don que tu ne me refuseras certes pas, car il ne peut te causer aucun mal, bien au contraire.
— Dame, répondit Arthur, dût-il m’en coûter beaucoup, pourvu que mon honneur n’en soit point terni et que cela ne cause aucun dommage à mes amis, je t’octroie ce don bien volontiers, quel qu’il soit. – Roi Arthur, répondit la Dame, tu viens de promettre de faire chevalier ce jeune homme qui est avec moi, lorsqu’il te le demandera.
— Dame, j’accomplirai ce que j’ai promis. Et grâces te soient rendues de m’avoir amené ce jeune homme en qui je reconnais valeur et prouesse ! » Et, ce disant, le roi examinait attentivement le compagnon de la Dame, se disant en lui-même qu’il n’avait jamais vu une telle détermination farouche dans le regard d’un homme aussi jeune. « Soyez les bienvenus à ma cour, reprit-il. Je veux vous conduire moi-même jusqu’à la salle du festin. – Seigneur roi, dit la Dame, reçois ce jeune homme s’il le désire. Quant à moi, je te prie de m’en excuser, mais je ne peux demeurer ici plus longtemps, car il faut que je rentre au plus tôt dans mon domaine. – Qui es-tu donc, demanda le roi, et quel est le nom de ce jeune homme ? – Je suis la Dame du Lac, répondit-elle, et j’ai accompli un long voyage pour venir jusqu’ici. Permets donc que je prenne congé. Quant à ce jeune homme, sache qu’il est le Blanc Chevalier. » Sur ce, elle salua le roi et s’éloigna. Le Blanc Chevalier hésita un instant, puis il piqua des deux et rejoignit la Dame, comme pour l’escorter. Après avoir cheminé un certain temps ensemble, la Dame s’arrêta et descendit de son palefroi. Le jeune homme fit de même, et tous deux restèrent un instant immobiles et silencieux, à l’écart des autres. « Fils de Roi, dit la Dame, il faut maintenant nous séparer. Mais souviens-toi de mes conseils : pour l’instant, personne ne doit savoir qui tu es, car ce n’est pas sur ton nom ou ton lignage qu’on doit te juger, mais sur ta valeur. Tu es donc le Blanc Chevalier. Demain soir, tu prieras le roi Arthur de te remettre solennellement tes armes et, tout de suite, avant la nuit, tu quitteras ton hôte et tu iras errant à travers le pays : c’est ainsi que tu gagneras ta renommée, comme tu l’as fait déjà alors que tu ne savais pas qui tu étais. Ne t’arrête en aucun lieu, ou le moins possible, mais garde-toi d’y laisser quelque exploit à accomplir pour ceux qui viendront après toi. »
Comme Lancelot paraissait triste de quitter celle qui avait tant pris soin de lui, elle tira alors de son doigt un anneau qu’elle passa à celui de son protégé. « Cet anneau sera le lien entre toi et moi, dit-elle encore, et sois assuré que tant que tu le porteras, il ne pourra rien t’arriver de mauvais. » Puis elle le recommanda à Dieu, le baisant tendrement sur le front : « Beau fils de roi, mon enfant, murmura-t-elle, écoute bien ceci : tu mèneras à bien les aventures les plus périlleuses, et celui qui achèvera celles que tu auras laissées n’est pas encore né. Je t’en dirais bien davantage, mais je n’ai pas le droit de te dévoiler l’avenir, et mon cœur se serre à la pensée de te quitter. Sache que je t’ai aimé plus qu’un fils ! » Et, sans plus attendre, elle remonta sur son palefroi, laissant Lancelot seul dans la clairière. Il demeura un long moment immobile, les yeux humides des larmes qu’il n’osait pas laisser couler. Puis, remontant lui-même sur son cheval, il se mit en devoir de rejoindre le roi.
Il le trouva devant la forteresse de Camelot où il se délassait sur le pré en compagnie d’Yvain. Quand le roi le vit arriver, il l’accueillit avec grande joie et le confia à Yvain pour qu’il fût hébergé la nuit suivante. Puis le roi rentra
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