Lancelot du Lac
obtienne d’elle son congé ! » Tous deux s’en revinrent vers le palais et montèrent à la chambre de la reine. On les fit entrer. Là, le jeune homme s’agenouilla sans dire un mot, les yeux baissés, n’osant même pas regarder celle qui avait déjà envahi son cœur. « Dame, dit Yvain pour le tirer d’embarras, voici le jeune homme d’hier soir que le roi a fait chevalier ce matin. Il vient prendre congé de toi, car il ne peut imaginer partir sans une parole de la reine. »
Guenièvre était tout émue, mais en femme sûre d’elle-même, elle n’en laissa rien paraître. « Quoi ? dit-elle d’un ton dégagé. Il est à peine arrivé qu’il s’en va déjà ? – Oui, Dame, il va, sur congé du roi, porter secours à la Dame de Nohant. Il l’a demandé en don, et mon seigneur le roi le lui a octroyé comme un grand honneur ! – Comment cela peut-il se faire ? dit Guenièvre. Il est si jeune ! Il serait mieux à sa place dans cette cour ! Enfin, le roi a décidé… Lève-toi, beau seigneur. Je ne sais pas d’où tu viens, mais tu es peut-être de meilleure lignée qu’on ne le suppose. De toute façon, je ne peux pas supporter que tu restes à genoux devant moi ! Je ne suis guère courtoise, en vérité ! – Dame, dit Lancelot en soupirant, pardonne-moi la folie que j’ai faite ! – Quelle folie ? – J’ai pensé partir sans avoir congé de toi ! »
Guenièvre était au supplice. Elle n’avait qu’une seule envie : relever doucement le jeune homme et le serrer tendrement dans ses bras. Elle se reprit et dit d’une voix qu’elle voulut rendre sévère : « Beau doux ami, tu es assez jeune pour qu’on te pardonne un si grave méfait ! – Dame, répondit-il humblement, je te remercie de ta générosité. » Et, après avoir encore hésité, il ajouta : « Dame, si j’osais, et si tu voulais bien recevoir ma requête, je me tiendrais toujours pour ton chevalier et je te servirais en toutes occasions ! – Je le veux ainsi. Que Dieu te protège, beau doux ami ! » Elle le fit lever en lui tendant la main. Il eut encore un moment de faiblesse quand il sentit que la main de Guenièvre le touchait. Il en frémit dans tout son corps. Mais il ne fallait pas que l’on sût ce qui le liait à la reine. Il se releva, salua les dames et les jeunes filles qui, après avoir entendu de nombreux compliments sur sa beauté et sa prestance, avaient toutes l’œil sur lui pendant qu’il s’entretenait avec la reine, s’émerveillant que la nature l’eût si bien pourvu de ce qu’elles désiraient le plus. Puis il revint à son logis pour finir de s’équiper. C’est alors qu’Yvain s’aperçut qu’il n’avait pas d’épée.
« Par mon chef ! s’écria le fils du roi Uryen, tu n’es point chevalier puisque le roi ne t’a pas ceint l’épée ! – Seigneur Yvain, répondit Lancelot, je n’en veux pas d’autre que la mienne, qui m’a été donnée par la Dame du Lac, et que les suivantes de ma Dame ont emportée par mégarde ! Sois sûr que je les rattraperai avant qu’elles aient quitté ce pays, et je reviendrai aussi vite que mon cheval pourra me porter à travers landes et forêts. » Ayant dit cela, il sauta sur son coursier. Piquant des deux, il s’élança à toute allure, mais il ne revint pas retrouver le fils d’Uryen, car, secrètement, il espérait être armé par une autre main que celle du roi Arthur. Tout son esprit était désormais envahi par l’image de la reine, à tel point qu’il en oubliait de boire et de manger quand il s’arrêtait afin de faire reposer son cheval.
Yvain l’attendit patiemment pendant deux jours. Le matin du troisième jour, il s’en alla au palais conter au roi Arthur comment le Blanc Chevalier l’avait trompé. Pourtant, il avoua reconnaître que ce jeune homme était d’un tempérament qui inspirait de l’admiration à tous ceux qui le voyaient. Gauvain dit que c’était peut-être un homme de très haut rang, et qu’il avait mal supporté que le roi Arthur ne lui eût pas ceint l’épée avant les autres. La reine et plusieurs autres chevaliers affirmèrent qu’ils croyaient la chose possible. Le roi Arthur conclut en disant qu’ils verraient bien ce qu’il adviendrait du Blanc Chevalier. Puis, tout le monde se sépara, mais la reine Guenièvre ne pouvait chasser de son esprit l’image obsédante de ce jeune guerrier vêtu de blanc qui lui était apparu, un jour d’été, dans la grande
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