Lancelot du Lac
jeune guerrier qui lui avait donné une belle leçon de courtoisie. Au matin, elle l’envoya quérir par plusieurs de ses chevaliers, car elle voulait qu’il fût traité en grand honneur. Mais, quand il arriva au palais, un autre chevalier fit son apparition. Lancelot le reconnut bien : c’était Kaï, le frère de lait du roi Arthur dont celui-ci avait fait son sénéchal.
Kaï le précéda auprès de la Dame de Nohant et s’adressa à elle en ces termes : « Dame, le roi m’a chargé de soutenir ta cause. Il l’aurait fait le premier jour si un nouveau chevalier ne l’avait prié de lui en accorder le don. » Lancelot intervint sans plus attendre : « Seigneur Kaï, je suis ce nouveau chevalier, et c’est à moi de combattre puisque je suis arrivé le premier. – Il ne peut en être ainsi, répondit Kaï. – Et pourquoi donc ? demanda Lancelot. – Parce que je suis venu ! dit Kaï d’un ton hargneux. – Eh bien, conclut Lancelot, nous jouterons donc ensemble, et le vainqueur ira à la bataille. » La Dame de Nohant se trouvait fort embarrassée. Elle désirait confier sa cause au Blanc Chevalier dont elle se sentait de plus en plus éprise, mais elle savait qu’en agissant ainsi, elle mécontenterait Kaï, qui était très aimé du roi Arthur. « Seigneurs chevaliers, dit-elle enfin, écoutez-moi. Puisque je peux avoir deux champions pour défendre mon droit, vous combattrez tous les deux. – Qu’il en soit ainsi ! » répondirent-ils.
Après le repas, le Blanc Chevalier se leva et se dirigea vers le mur de la salle où se trouvaient appuyées quantité de lances. Il en choisit une, la plus grosse et la plus forte qu’il put trouver, en éprouva le fer et le bois, et rogna la hampe de deux grands pieds en disant qu’il n’avait pas besoin d’une arme si longue. Ensuite, il alla examiner ses propres armes, regardant bien si rien ne manquait : ni courroie, ni poignée à son bouclier, ni maille à son haubert, ni lacet à son heaume. Et, ce faisant, il était admiré de tous ceux qui se trouvaient là. Pourtant, quand ses deux champions se furent mis en selle, à l’heure qui avait été fixée, dans la lande choisie pour la bataille, la Dame de Nohant s’aperçut que le Blanc Chevalier n’avait pris d’autres armes que son bouclier et sa lance. Elle en fut très inquiète et le lui fit remarquer. Mais il répondit qu’il ne pourrait ceindre son épée de chevalier qu’après en avoir reçu le commandement de quelqu’un.
La Dame fut très intriguée. Elle se demandait bien qui pouvait être ce quelqu’un dont le Blanc Chevalier attendait ainsi le commandement, au risque d’être en état d’infériorité au combat. « Laisse-moi au moins suspendre une épée à ton arçon, dit-elle, car tu auras affaire à un guerrier très dangereux. » Le Blanc Chevalier accepta volontiers et ainsi fut fait. Alors les quatre champions prirent du champ, et lorsque le cor sonna, ils chargèrent, deux contre deux, aussi vite que leurs chevaux le purent.
Kaï et celui qui s’opposait à lui s’entrechoquèrent si rudement que la tête et le cœur leur tournèrent : tous deux lâchèrent leurs rênes et les poignées de leurs boucliers, vidèrent les étriers et roulèrent sur le sol où ils demeurèrent étourdis pendant un long moment. Pendant ce temps, le Blanc Chevalier frappait le bouclier de son adversaire avec une telle force qu’il le fit voler par-dessus la croupe de son destrier, ses rênes rompues à la main. Il revint vers le sénéchal et lui cria : « Kaï, prends mon homme et laisse-moi le tien ! » Mais Kaï ne répondit rien. Alors Lancelot descendit de son destrier, car il n’eût jamais consenti à charger à cheval un homme à pied. Jetant son bouclier sur sa tête, il assaillit comme une tempête le chevalier qu’il avait démonté, et il le harcela avec tant de rudesse que celui-ci n’eut d’autre ressource que de se rendre à merci. Lancelot se retourna vers Kaï et lui cria de nouveau : « Kaï, viens ici ! Tu vois ce qui est arrivé à celui-ci ! Laisse-moi le tien, car je n’ai nulle intention de demeurer dans ce champ toute la journée ! » Kaï se mit en colère. « Ne t’occupe pas de mes affaires ! Je ne m’occupe pas des tiennes ! » Et, sans plus tarder, Kaï leva son épée et assena à son adversaire, avec une violence incroyable, un tel coup que l’autre s’écroula, complètement assommé. La bataille était
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