Lancelot du Lac
terminée.
Voyant que ses hommes étaient vaincus, le roi de Northumberland s’empressa de demander la paix, et la Dame de Nohant s’en vint elle-même séparer les combattants. Il y eut échange de serments entre le roi et la Dame. Puis Kaï repartit pour la cour d’Arthur où il raconta tout ce qui s’était passé, ne manquant pas d’insister sur la vaillance du Blanc Chevalier et révélant qu’il ne ceindrait son épée que lorsqu’il en aurait le commandement de quelqu’un.
Quant à Lancelot, il demeura encore deux jours à Nohant. Il tenait à récompenser dignement son hôte, le bronzier qui venait d’être affranchi. Puis il prit congé de la Dame de Nohant, dont le cœur soupirait pour lui et qui aurait bien voulu le retenir plus longtemps. Elle lui avait même proposé de l’épouser, lui offrant toute sa terre, lui faisant entrevoir les plus grandes joies qu’une femme eût pu lui donner. Mais Lancelot n’avait qu’une image en l’esprit, celle de la reine Guenièvre. Après avoir remercié la Dame de Nohant, il prit congé d’elle et revint rapidement à Camelot. Là, une grande surprise l’attendait : Guenièvre le fit appeler et, lorsqu’il fut devant elle, n’osant pas même la regarder, elle lui dit qu’elle lui commandait de ceindre son épée. Aussitôt, le Blanc Chevalier alla chercher son épée et la mit à sa ceinture. Et, sans ajouter un mot, le cœur bouleversé, il sortit, monta sur son cheval et s’éloigna dans la forêt.
Il était midi quand il parvint à une large rivière. Comme il faisait chaud, il mit pied à terre pour boire. Après quoi, il s’assit au bord de l’eau, à l’ombre d’un arbre et se mit à rêver. Tout à coup, un chevalier revêtu d’armes noires apparut sur la rive opposée, poussant son cheval dans le gué et faisant rejaillir l’eau jusque sur Lancelot. Ce dernier se leva brusquement : « Seigneur, tu m’as éclaboussé et, ce qui est pire, tu m’as fait perdre le fil de ma rêverie ! – Que m’importe ! » répliqua l’autre. Alors Lancelot sauta sur son destrier et se mit en devoir de franchir le gué. « Vassal ! s’écria le cavalier noir, tu ne passeras pas ! Ma Dame la reine m’a commandé de garder ce gué et d’interdire à quiconque de le franchir ! »
Pour le Blanc Chevalier, il ne pouvait y avoir qu’une seule reine, Guenièvre, l’épouse du roi Arthur. Ayant entendu ce que disait le cavalier noir, il n’insista pas, tourna bride et regagna la rive. Mais le cavalier noir le rejoignit et saisit son destrier par le frein. « Seigneur, il faut que tu me laisses ton cheval ! – Et pourquoi donc ? demanda Lancelot. – Parce que tu es entré dans le gué. » Lancelot avait déjà quitté l’un de ses étriers quand le doute le saisit. « Dis-moi, camarade, demanda-t-il, est-ce bien au nom de la reine, l’épouse du roi Arthur, que tu me donnes cet ordre ? – Non pas ! répondit l’autre. C’est au nom d’une reine dont je dois taire le nom. – Dans ce cas, reprit Lancelot, ce n’est pas aujourd’hui que tu auras mon cheval. Lâche cette bride, je te prie ! »
Mais le cavalier noir n’en fit rien. Au contraire, il se mit à tirer davantage sur la bride. Alors, Lancelot le frappa de son poing qu’il avait dur et noueux, ce qui fit reculer l’autre. Tous deux prirent alors leurs distances, puis ils s’élancèrent l’un sur l’autre et se heurtèrent avec le fracas du tonnerre. Le Blanc Chevalier tenait sa lance avec une telle vigueur qu’il renversa en même temps le cheval et l’homme. Celui-ci tomba dans le gué où il demeura étourdi. Mais comme Lancelot lui enlevait son heaume pour lui couper la tête ou lui faire crier merci, une voix se fit entendre sans qu’on pût savoir d’où elle provenait, tellement douloureuse que le ciel en paraissait trembler. Et cette voix disait : « Hâte-toi, Urbain, hâte-toi ou tu perdras mon amour ! » Quand il eut entendu ces paroles, le cavalier noir fit un violent effort pour se remettre sur pied, mais Lancelot pesait de tout son poids sur lui. Alors, inexplicablement, une nuée de grands oiseaux plus noirs que suie fondit du ciel, tourbillonnant sans cesse et tentant de lui crever les yeux sous son heaume. Cette intervention permit au cavalier noir de se redresser. Il courut sus au Blanc Chevalier. Celui-ci se défendit du mieux qu’il put, mais le nombre des oiseaux était tel qu’il n’arrivait pas à en venir à bout.
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