Lancelot du Lac
c’est demain que tu pourras faire connaître à tous que tu es Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc. Je vais t’expliquer ce qu’il faudra qu’auparavant tu accomplisses. Au-dessus de ce village, s’élève une fière et orgueilleuse forteresse qu’on appelle la Douloureuse Garde. D’où provient ce nom ? D’une étrange coutume : aucun chevalier errant ne s’y est jamais présenté qui n’y ait été tué ou retenu prisonnier sans espoir d’en sortir. Et le feu que tu as vu ce soir, à l’entrée du village, doit être allumé toutes les nuits pour attirer les chevaliers qui passent aux alentours. Les gens du pays, en effet, espèrent tous que viendra enfin celui qui les délivrera du sortilège qui pèse sur la contrée. Sache que la forteresse a deux murailles, chacune percée d’une porte que défendent dix guerriers. Pour réussir, il te faudra les vaincre tous ensemble, et non un par un, car dès que l’un d’eux est en mauvaise posture, il appelle les autres à la rescousse. L’épreuve risque d’être longue et pénible, Beau Trouvé, mais je sais que tu réussiras. D’ailleurs, pour te protéger, j’ai apporté trois boucliers. » Ce disant, elle les lui montra, posés contre la muraille, tous trois peints de couleur argentée, l’un avec une bande vermeille, le deuxième avec deux bandes, le troisième en possédant trois.
Et Saraïde reprit : « Le premier de ces boucliers ajoute la force d’un homme à celle de l’homme qui le porte. Le second lui apporte la force de deux hommes, et le troisième la force de trois. Certes, tu en auras besoin demain quand viendra le moment. Et souviens-toi de ne pas révéler ton nom avant d’avoir accompli ce que tu dois accomplir, au nom de Dieu et de ma Dame. » Ainsi parla Saraïde. Puis, tout le monde s’assit pour se restaurer, et l’on servit nourritures et breuvages les plus délicats. Enfin, tandis que le Blanc Chevalier dormait dans le beau lit qu’on lui avait préparé, tous les gens du village prièrent pour son succès, tant ils souhaitaient voir rompre les enchantements et les mauvaises coutumes de la Douloureuse Garde.
Le lendemain, comme le soleil se levait, Lancelot se fit armer et, monté sur un grand et fort destrier, il gravit la colline vers la porte de la forteresse. Un cor sonna et un homme parut sur le haut de la muraille. « Que veux-tu, étranger qui trouble notre tranquillité ? – Je veux qu’on ouvre la porte ! répondit Lancelot. – Ah ! seigneur ! s’écria l’homme. Je voudrais bien que tu fusses assez preux pour mener à bien cette aventure, car notre douleur n’a que trop duré ! Mais il convient que nous gardions notre loyauté et que nous tenions notre serment : puisque tu en manifestes le désir, nous allons t’ouvrir ! » Alors, le pont-levis s’abaissa et dix chevaliers sortirent un par un avant de se ranger en ordre au bas du tertre.
Ce fut une rude bataille pour Lancelot. Il heurta les uns si rudement de sa lance qu’ils se retrouvèrent à terre sans plus avoir jamais besoin de médecin. Il faussa les heaumes des autres, fendit leurs boucliers, rompit leurs hauberts sur les bras et les épaules. Cependant, certains l’atteignirent et le blessèrent, car dès que l’un avait le dessous, un autre se précipitait à la rescousse. Pourtant, grâce à deux des trois boucliers argentés à bandes vermeilles qui lui refirent deux fois des forces nouvelles, il se battit si rudement qu’enfin ses adversaires ne furent plus que trois. Ce que voyant, l’un des trois s’écria qu’il n’était pas assez stupide pour perdre la vie comme ses compagnons et qu’il préférait s’avouer vaincu. Aussi tendit-il son épée à Lancelot qui continua de combattre les deux derniers sans avoir recours au troisième bouclier. Mais les deux survivants demandèrent grâce et Lancelot les laissa aller. Alors, la porte du château s’ouvrit à grand fracas.
On en était à peu près à l’heure de none (28) . Le Blanc Chevalier, ivre de sa victoire, gravit le tertre et pénétra à travers le mur d’enceinte. Mais quand il eut franchi le seuil, il aperçut la seconde muraille, avec une seconde porte devant laquelle se tenaient dix autres chevaliers bien armés et d’allure redoutable. Il sentit alors que Saraïde, aidée de plusieurs hommes, lui délaçait son heaume tout bosselé et fendu, et qu’elle lui en ajustait un autre. Puis elle lui passa au cou la courroie du bouclier à
Weitere Kostenlose Bücher