Lancelot du Lac
autrement, parce qu’ils ont peur de toi. Mais ils ne te sont pas plus utiles que s’ils étaient morts, car tu n’as pas su te faire aimer d’eux et on ne peut rien entreprendre sans amour ! Crois-moi, Arthur, on n’obtient jamais rien par la force ! – Pour l’amour de Dieu, maître, dit encore Arthur, apprends-moi donc ce que je dois faire pour que le royaume soit maintenu en justice et équité ! – Je veux bien t’apprendre comment guérir un cœur malade et désespéré. Sache que le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays. Je vais te dire, au nom de Dieu, ce que tu devras faire. D’abord, dès que tu le pourras, tu t’en iras visiter les villes qui dépendent de toi et tu y rendras justice à chacun selon son droit. Ensuite, tu feras venir à ta cour les plus humbles chevaliers, sans les mépriser aucunement, en même temps que les plus nobles et les plus prisés. Et, lorsqu’on te présentera un homme sage et résolu qui n’aura d’autre bien que sa prouesse, et qui se dissimulera derrière les autres pauvres, tu iras vers lui et tu t’informeras de sa situation et de ses désirs. Et chacun dira : « Avez-vous vu comment le roi vient de quitter les riches pour s’asseoir à côté d’un modeste chevalier ? » Ainsi gagneras-tu le cœur des petites gens qui te sont si nécessaires et qui seront les plus ardents à œuvrer pour la gloire de ton royaume. Et quant aux fous qui pourront te reprocher de t’abaisser, tu les renverras à leurs folies ! Ensuite, tu choisiras un de tes chevaux, l’un des meilleurs, sur lequel tu monteras, et tu iras vers ce pauvre chevalier. Tu mettras pied à terre, tu lui placeras la bride dans la main et tu lui diras de chevaucher ce destrier pour l’amour de toi. Enfin, tu lui feras des largesses afin qu’il aille clamer partout que tu es un bon roi qui ne vit pas du travail de ses sujets mais qui est prêt à se sacrifier pour leur salut et leur bonheur !
« Ce n’est pas tout, roi Arthur, reprit l’ermite après un instant de silence, car j’ai encore d’autres conseils pour toi. Il faut aussi que tu donnes ce que tu peux aux vavasseurs, les véritables gardiens de ta terre. Ils sont certes plus aisés dans leurs manoirs, mais il leur manque parfois de quoi accomplir leur mission. Donne-leur des terres, des rentes, des vêtements d’apparat, des palefrois. Mais prends garde d’avoir toujours monté auparavant les chevaux dont tu leur feras présent, car ainsi, ils diront qu’ils ont un cheval qui a été monté par le roi, et la fierté qu’ils en tireront leur fera accomplir de nombreux exploits. J’en viens maintenant à tes barons, ceux dont tu aimes t’entourer parce qu’ils sont de haut lignage, comme toi, fils du roi Uther. Tu leur donneras des vaisselles précieuses, de beaux joyaux, des étoffes de soie, des faucons habiles à la chasse, des destriers bien dressés pour qu’ils soient les meilleurs lors d’un combat. Ainsi feras-tu largesses à chacun selon son rang et ses mérites, mais crois bien que ces présents te gagneront les cœurs et que tes terres seront bien gardées, pour la satisfaction de tous, du plus puissant au plus humble. Tu ne peux rien faire tout seul, bien que tu sois le roi, car tu n’es qu’un homme toi-même, avec toutes les faiblesses de l’humanité. Mais si Dieu t’a choisi pour régir ce royaume, c’est qu’il attend de toi que tu agisses selon le droit et la justice. Et ce que tu feras, toi, pour tes hommes, la reine devra le faire pour les dames et les jeunes filles de ce royaume. Et prends garde également d’être toujours avenant et aimable, car on ne peut avoir nul gré d’un don qui est fait en rechignant.
— Je ferai tout ce que tu dis, beau maître, dit Arthur, et je te suis reconnaissant de m’avoir rappelé à mes devoirs. – Je n’ai pas terminé, dit encore l’ermite, car tout cela concerne ton royaume et non toi-même. Sache, roi Arthur, que le royaume est aussi grand que peut aller le regard d’un roi. Or, comment peux-tu jeter ton regard le plus loin possible quand tes yeux sont obscurcis par le péché ! Fais venir auprès de toi les plus sages clercs qui soient ici et confesse-leur les fautes que tu pourras découvrir en toi. Dieu pardonne toujours les fautes lorsqu’elles sont sincèrement reconnues. Mais dis-toi bien que la confession n’est valable que si le cœur se repent de ce que la langue avoue. Et ne manque pas de leur dire le grand péché que
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