Lancelot du Lac
immobile sur son cheval, contemplant avec ravissement cette loge où se trouvait la reine.
Cependant, le premier des rois qui avaient été défaits par Galehot, celui qui lui avait rendu hommage le plus anciennement, s’était détaché de l’armée adverse pour donner le premier coup de lance, et, le bouclier devant la poitrine, il avançait vers le gué. À cette vue, les hérauts et les crieurs du roi Arthur commencèrent à clamer : « Leurs chevaliers arrivent ! Voyez-les ! Le roi Premier Conquis approche ! » Et comme les crieurs apercevaient Lancelot sur le gué, ils s’adressèrent à lui en ces termes : « Seigneur chevalier, ne vois-tu pas l’un des leurs venir ? Qu’attends-tu pour te mesurer à lui ? » Mais ils eurent beau lui répéter cela cent fois de suite, il ne répondit rien, car, en fait, il ne les entendait pas. À la fin, l’un d’eux s’approcha de lui et lui prit son bouclier sans qu’il s’en aperçût. Alors, un valet ramassa au bord de l’eau une motte de terre humide et la lança de toutes ses forces sur le nasal de son heaume en criant : « Lâche, maudit traître, à quoi songes-tu ainsi alors que les ennemis sont devant toi ? » L’eau boueuse lui ayant piqué les yeux, il reprit conscience. Il vit le roi Premier Conquis approcher. Aussitôt, il baissa sa lance, piqua des deux, et, sans bouclier, se précipita sur l’adversaire. Le roi le frappa en pleine poitrine, mais son haubert, qui était fort et souple, ne céda point. Lancelot fit virevolter son cheval et revint à l’attaque. Cette fois, il s’était élancé avec une telle force qu’il renversa le roi et sa monture. Aussitôt, le valet qui lui avait pris son bouclier se hâta de le lui passer au cou. Mais Lancelot, sans daigner seulement le regarder, s’apprêta à faire face aux gens du Premier Conquis qui s’étaient précipités à l’aide de leur seigneur. Ceux du roi Arthur accoururent contre eux. Ainsi commença une dure mêlée. Gauvain accomplit là de grandes prouesses, mais il reçut tant de coups que le sang lui sortait par la bouche et par le nez et qu’à la fin, étant tombé de son cheval, il fallut l’emporter évanoui. Des deux côtés, la vaillance fut à l’honneur, mais entre tous se distingua le chevalier inconnu qui portait des armes vermeilles, car il renversa tous ceux qu’il rencontra. Pourtant, quand la nuit fut tombée, il disparut sans qu’on s’en aperçût, et personne ne put dire ce qu’il était devenu.
Il était revenu au Puy de Malehaut, respectant le serment qu’il avait fait. Là, s’étant fait désarmer, il était rentré dans la chambre qui lui servait de prison, où il se coucha sans manger ni boire, tant il était recru de fatigue. Peu après lui, revinrent les chevaliers que la Dame de Malehaut avait envoyés au combat. Ils contèrent les prouesses du champion aux armes vermeilles et ne tarirent pas d’éloges sur sa bravoure et son audace. À les entendre, la Dame de Malehaut comprit bien qu’il s’agissait de son prisonnier. Mais, voulant en avoir confirmation, elle appela sa cousine germaine et lui dit tout bas : « Si c’est lui, ce grand vainqueur, nous le verrons bien en examinant ses armes et son corps. – C’est chose facile, dit la jeune fille. – Oui, reprit la Dame, mais prends garde que personne ne sache ce que nous allons faire toutes les deux ! » La Dame de Malehaut se débarrassa de ses gens et de ses suivantes le plus tôt qu’elle le put. Puis elle dit à sa cousine de prendre autant de chandelles qu’il en fallait pour s’éclairer ; elle descendit avec elle jusqu’à l’étable où se trouvait le cheval. Là, elles virent bien que la pauvre bête était couverte de plaies, à la tête, au cou, à la poitrine et aux jambes : le cheval était en si mauvais état qu’il n’avait même plus la force de manger. « Dieu m’aide ! dit la Dame. Voici qui ressemble au cheval d’un vaillant champion ! » Sa jeune cousine lui répondit : « Certes, ce destrier a eu plus de peine que de repos, mais je dois te dire que ce n’est pas la monture que tu as donnée à ton chevalier lorsqu’il est parti ! – C’est qu’il en a usé plus d’une, dit la Dame. Mais allons examiner ses armes. »
Toutes deux pénétrèrent dans la chambre où les armes avaient été rangées. Elles trouvèrent le haubert faussé et coupé sur les épaules et sur les bras, le bouclier tout écartelé de coups d’épée et
Weitere Kostenlose Bücher