Lancelot du Lac
tu as commis en ne secourant pas ton homme lige, le roi Ban de Bénoïc, qui avait toute confiance en toi, son seigneur, et qui est mort à ton service, voyant sa terre envahie par l’odieux Claudas de la Terre Déserte. Tu ne l’as pas aidé, pas plus que tu n’as aidé son fils, ce Lancelot qui, par la grâce de Dieu, a été élevé et éduqué par celle qu’on nomme la Dame du Lac, et qui est pourtant un diable sous l’apparence d’une femme. Voilà. Je t’ai dit ce que Dieu m’a révélé en mon âme et conscience. Tu agiras comme bon te semble, mais sache encore que ton royaume ne pourra être sauvé que par le Grand Léopard qui a réussi à soulever la dalle de son propre tombeau, dans une forteresse qui était la proie de tous les diables de l’Enfer. » Ayant prononcé ces paroles, Nascien rentra dans la foule et s’y perdit, laissant le roi Arthur à sa méditation.
Comme les messagers s’en étaient allés dans toutes les directions pour apporter la nouvelle que Galehot des Îles Lointaines voulait envahir le royaume et que tous les chevaliers étaient convoqués dans la cité de Galore, Lancelot ne tarda pas à apprendre quel danger menaçait le roi. Or, il se trouvait en prison. Certes, cette prison était douce et non désagréable, car la Dame de Malehaut l’avait fait enfermer dans un logis dont les deux fenêtres grillagées donnaient sur un verger. Et la Dame elle-même venait souvent converser avec lui et s’émerveillait de sa courtoisie. Elle-même était courtoise et sage, prisée de tous ceux qui la connaissaient. Les gens de sa terre l’aimaient tant que, lorsqu’on leur demandait comment était leur Dame, ils répondaient qu’elle était une émeraude au milieu des plus beaux joyaux du monde.
Or donc, Lancelot apprit ce que disaient les messagers du roi Arthur. Il n’eut de cesse de faire venir la Dame auprès de lui. Elle vint lui parler à travers la grille des fenêtres. « Dame, lui dit-il, j’ai ouï dire que le roi Arthur rassemblait ses chevaliers dans la cité de Galore. Je ne suis qu’un pauvre chevalier, mais je connais des gens de sa maison qui pourraient m’aider à payer ma rançon. – Beau seigneur, répondit-elle, je ne te retiens pas dans l’espoir d’une rançon, mais par simple justice, car tu as commis un grand méfait contre mon sénéchal. – Dame, je ne puis le nier, mais si j’ai tué le fils de ton sénéchal, c’était contraint et forcé, pour défendre mon honneur. Écoute-moi, Dame, j’ai une requête à formuler : si tu veux me laisser sortir, tu feras bien, car je sais qu’il y aura grande bataille entre le roi Arthur et Galehot, seigneur des Îles Lointaines. Pour rien au monde, je ne voudrais manquer à mon seigneur le roi ! Je peux même te jurer de rentrer chaque nuit en ta prison, sauf si mort ou blessure m’en empêchaient ! – Ce sont des paroles qui me touchent, répondit la Dame de Male-haut. Je ferai selon ton désir à une seule condition : c’est que tu me révèles ton nom. – Dame, je ne le peux pas encore, mais je t’assure que je le ferai dès que cela me sera permis. »
La Dame de Malehaut se laissa fléchir. En vérité, elle était elle aussi quelque peu éprise de ce chevalier qui paraissait si pauvre et de si basse extraction mais qu’elle pressentait d’une tout autre trempe. Elle aurait bien voulu que celui-ci combattît pour elle, car depuis qu’elle le connaissait, elle sentait grandir l’intérêt qu’elle manifestait à son égard. Elle lui fit jurer sur les saintes reliques de regagner, dès qu’il le pourrait, sa prison. Puis elle lui donna un cheval vigoureux, un bouclier tout neuf et des armes vermeilles. C’est dans cet équipage que Lancelot, que personne n’aurait reconnu, se rendit à Galore rejoindre l’armée du roi Arthur.
En arrivant, il vit les chevaliers rangés de part et d’autre de la rivière, prêts à combattre. Il s’arrêta un instant sur le bord du gué, entre les deux armées. Il aperçut une loge que le roi Arthur avait fait dresser pour que la reine, les dames et les jeunes filles pussent assister aux tournois qui étaient prévus. Car il ne s’agissait pas de se jeter les uns contre les autres en désordre, mais de jouter entre champions de même force et de même qualité. Arthur lui-même s’était assis dans cette loge, car il avait été convenu que ni lui ni Galehot ne prendraient part à la bataille. Lancelot s’appuya sur sa lance et demeura
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