Lancelot du Lac
tout, et le ramena au château.
Lorsqu’on vint dire à la reine que Dagonet le Fol avait conquis un chevalier, la reine en fut bien ébahie et lui fit dire de venir la rejoindre avec son prisonnier. Dagonet fut tout fier de cette invitation, et il se hâta de se présenter devant la reine. « Voici mon prisonnier ! » s’écria-t-il en entrant dans la salle. « Tels sont ceux que je sais prendre », poursuivit-il, se pavanant en clamant à qui voulait l’entendre : « De tels prisonniers, vous n’en prendrez jamais ! – Dagonet, demanda la reine, par la foi que tu dois à mon seigneur le roi et à moi-même, dis-nous, je te prie, comment tu t’es emparé de ce chevalier. » Dagonet allait répondre par une fable de son invention quand Lancelot, qui avait sursauté en entendant la voix de Guenièvre, sembla se ressaisir. Mais la vue de la reine, si proche, le replongea dans son extase. Ses doigts s’ouvrirent et la lance qu’il tenait à la main lui échappa, déchirant, en tombant, le manteau de la reine. « Ce chevalier ne me paraît pas dans son sens commun, murmura-t-elle à l’invitation d’Yvain qui se tenait près d’elle. Demande-lui donc qui il est. »
À la question d’Yvain, Lancelot se mit à frissonner comme un homme qui s’éveille brusquement. « Seigneur, répondit-il, je suis un chevalier. – On s’en doutait, répliqua Yvain, mais quel est ton nom ? – Je ne sais. Je suis un chevalier qui passe sur le chemin. – Et que cherches-tu donc ? – Je ne sais. – Sais-tu que tu es prisonnier ? – Qu’il en soit ainsi ! » Yvain sentit sa patience l’abandonner. « Ne veux-tu pas en dire davantage ? – Seigneur, répondit Lancelot, que pourrais-je dire de plus ? » Yvain haussa les épaules, renonçant à le questionner plus avant. Il s’adressa à Dagonet : « Dagonet, le laisserais-tu aller si je m’offrais à toi comme otage ? – Je le veux bien », répondit le Fol. Alors Yvain ramassa la lance et la tendit à Lancelot. Puis il lui fit donner un autre cheval et le reconduisit au gué. Là, il lui montra la direction qu’avait prise celui qu’il cherchait. Toujours aussi pensif, Lancelot s’éloigna lentement, laissant Yvain, les autres chevaliers et la reine Guenièvre dans la plus grande stupéfaction.
Il ne tarda pourtant pas à rejoindre le Chevalier Rouge qui avait eu le malheur de le distraire dans sa rêverie. « Ah ! voici le chevalier qui aime mieux contempler les dames que combattre ! – Tu as tort de le prendre ainsi, répondit Lancelot. Défends-toi si tu le peux ! » Tous deux prirent du recul et se précipitèrent l’un sur l’autre. Mais, dès le premier assaut, Lancelot transperça son adversaire et le laissa mort sur le terrain. Il en fut tout triste et dolent, car il avait seulement voulu donner une leçon au Chevalier Rouge. Puis, il se remit en route et chevaucha tant et si bien qu’il parvint le soir aux bords d’une cité qu’on appelait le Puy de Malehaut.
Or, au moment où il franchissait les portes, il fut dépassé par deux écuyers qui portaient, l’un le heaume, l’autre l’épée du Chevalier Rouge qu’il venait de tuer. Et, lorsque, ayant traversé la ville, il voulut sortir par l’autre porte, il la trouva fermée. Il voulut en demander la raison, mais n’en eut pas le temps, car il fut entouré par une troupe d’hommes en armes qui l’assaillirent. Il se défendit de son mieux, mais son cheval ayant été tué, il dut se réfugier sur l’escalier d’une maison. Là, attaqué de toutes parts, ses adversaires le firent tomber sur les genoux à plusieurs reprises. C’est alors que la Dame qui tenait la ville survint et lui demanda de se rendre à merci. « Dame, demanda-t-il, pourquoi ces gens m’ont-ils assailli ? En quoi l’ai-je mérité ? » Et la Dame répondit : « Tu as tué le fils de mon sénéchal et tu dois être châtié pour cette action. Rends-toi ! » Sans plus réfléchir, Lancelot tendit son épée à la Dame de Malehaut.
Pendant ce temps, le roi Arthur et ses gens étaient revenus à Camelot, inquiets de n’avoir recueilli aucune nouvelle du Blanc Chevalier qui avait conquis la Douloureuse Garde et était parvenu, en levant les enchantements qui pesaient sur la forteresse, à sauver ses habitants. Il envoya donc son neveu Gauvain, le sénéchal Kaï, et Yvain, le fils du roi Uryen, à la recherche de celui qu’il considérait comme l’un des meilleurs chevaliers du
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