Lancelot du Lac
pavillon, puis prirent congé d’elle avant de regagner le camp de Galehot. Là, s’étant couchés dans le même lit, ils parlèrent toute la nuit de ce qui leur tenait le plus à cœur.
La reine, cependant, ne pouvait pas dormir. Elle sortit de son pavillon et se mit à rêver. La Dame de Malehaut, la voyant seule, s’approcha tout doucement. « Ah ! murmura-t-elle, bien meilleure est la compagnie de quatre… » Et comme la reine ne paraissait pas avoir entendu, elle répéta sa phrase. « Que veux-tu dire par là ? demanda Guenièvre. – Dame, j’ai peut-être parlé plus qu’il ne convenait, et je dois m’en expliquer. J’ai vu ce qui s’est passé dans le verger. Je t’ai vue échanger un baiser avec le chevalier. Tu ne peux mieux placer ton cœur, car tu es l’être qu’il aime le plus au monde. Je le connais bien : je l’ai retenu prisonnier pendant longtemps, et c’est moi qui lui ai donné ses armes vermeilles, puis ses armes noires. L’autre jour, quand je l’ai vu si pensif, au bord de la rivière, j’ai bien deviné qu’il t’aimait. Et, pourtant, je l’aimais moi aussi, et j’ai tenté d’obtenir son cœur. Hélas pour moi ! Son amour pour toi est le plus fort, et je m’en réjouis, car tu es certainement la plus belle femme qu’on ait jamais vue en ce monde. – Je te remercie de ta franchise, répondit Guenièvre. Mais je voudrais encore savoir quelque chose : pourquoi dis-tu que meilleure est la compagnie de quatre ? J’avoue que je ne comprends pas bien.
— Dame, bientôt Galehot et son ami partiront pour le pays de Sorelois, mais où qu’ils se trouvent, ils pourront ensemble parler de toi. Tu demeureras ici, toute seule, et toi, tu ne pourras parler de lui à quiconque. S’il te plaisait que je fusse la quatrième dans votre secret, tu pourrais m’entretenir de lui.
— Belle amie, répondit la reine, ta requête me touche profondément. Oui, tu seras la quatrième à partager notre secret. Mais sache bien que je ne saurai plus me passer de toi, car lorsque j’aime, personne ne peut aimer plus que moi. »
Et elle apprit à la Dame de Malehaut que le chevalier aux armes noires se nommait Lancelot du Lac et qu’il était le fils du roi Ban de Bénoïc. Elle prit également soin de dire que Lancelot avait pleuré en la regardant. Puis elle voulut à toute force que sa nouvelle amie partageât son lit.
Quand elles furent couchées, Guenièvre demanda à la Dame de Malehaut si elle avait un ami. La Dame, qui songeait à Lancelot, lui répondit qu’elle n’avait jamais aimé qu’une seule fois, mais seulement en pensée. Alors la reine décida qu’elle la lierait à Galehot (34) .
Le lendemain, de bonne heure, elles retournèrent à la prairie aux arbrisseaux, accompagnées de quelques suivantes. La reine dit à la Dame de Malehaut qu’elle chérirait cet endroit à tout jamais. Puis elle se mit à faire l’éloge de Galehot, du mieux qu’elle le put, déclarant que c’était le plus sage et le plus noble des chevaliers de ce temps, et elle ajouta que lorsqu’il connaîtrait la nouvelle amitié qui les liait, il en aurait grande joie. C’est pourquoi, un peu plus tard, quand Galehot vint converser avec le roi Arthur, elle le tira à part et lui demanda s’il aimait d’amour une femme ou une jeune fille. « Non, répondit Galehot, je n’ai pas d’amie. – Sais-tu pourquoi, je te demande cela ? Puisque c’est toi qui m’as conduite à m’engager auprès de Lancelot, je veux moi-même te conduire à t’engager auprès d’une femme. Celle que j’ai choisie, tu n’auras pas à en rougir : elle est dame noble et riche d’honneur. C’est la Dame de Malehaut. – Dame, le choix me convient, et je ferai selon ta volonté. »
Elle fit appeler la Dame de Malehaut et lui dit : « Au nom de Dieu, je veux donner ton cœur et ton corps à un homme qui est digne de toi. Es-tu prête à suivre ma volonté et mon désir le plus cher ? » La Dame de Malehaut répondit qu’elle acceptait de grand cœur ce que lui proposait la reine. Alors Guenièvre les prit tous les deux par la main. « Seigneur chevalier, dit-elle à Galehot, je te donne à cette dame comme ami loyal de cœur et de corps. » Puis elle s’adressa à la Dame : « Dame, je te donne à ce chevalier comme amie loyale de cœur et de corps. » Tous deux se laissèrent faire avec grande joie, et la reine voulut qu’ils échangeassent un baiser et qu’elle en fût le
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