Lancelot du Lac
témoin. Après quoi, ils avisèrent sur les moyens de se rencontrer tous les quatre, et rendez-vous fut pris cette même nuit dans la prairie aux arbrisseaux, qui était bien propice à abriter les amours discrètes (35) .
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La Charrette d’Infamie
On était à l’Ascension. Le roi Arthur avait tenu à cette occasion une cour magnifique à Carduel, où il avait convié un grand nombre de ses barons et de ses chevaliers, ainsi que toutes les dames du royaume. C’est Kaï, le sénéchal, frère de lait du roi, qui avait dirigé le service des tables, et qui mangeait à son tour avec les officiers de bouche. Après le festin, Arthur et la reine Guenièvre demeurèrent en compagnie des barons, échangeant avec eux les propos les plus divers et les réflexions les plus dignes d’une assemblée royale.
C’est alors que surgit dans la grande salle de Carduel un chevalier brillamment équipé pour le combat, armé de pied en cap, qui s’avança vers le roi et qui s’écria d’une voix très forte : « Roi Arthur ! Je ne te salue pas ! Sache que je retiens en captivité bien des chevaliers, des dames et des jeunes filles qui sont de ta terre et de ta maison. Mais je ne t’apporte pas de leurs nouvelles dans l’intention de les libérer et de te les rendre. Au contraire, je te confirme que tu mourras avant de les retrouver ! » Le roi sembla accablé par ce discours et ne dit pas un mot. Dans l’assemblée, tous avaient fait silence. Alors le nouvel arrivé fit demi-tour, sans daigner plus longtemps rester devant le roi, et il alla jusqu’à la porte de la salle.
À ce moment, il se retourna et lança ce défi : « Roi Arthur ! Si dans ta cour il est, par hasard, un chevalier d’un tel mérite à tes yeux que tu oserais lui confier le soin de ramener la reine en se battant avec moi dans ce bois où je me rends, je l’y attendrai en te promettant de libérer tous les captifs que je garde en ma terre, au cas où il m’empêcherait de la ravir en triomphant de moi et parviendrait ainsi à la ramener jusqu’à toi ! Après quoi, le chevalier s’approcha de la reine Guenièvre, la prit par le bras et l’entraîna au-dehors avec lui. Un tumulte s’éleva immédiatement dans tout le palais, et la nouvelle du défi lancé par l’inconnu arriva bientôt au sénéchal qui était en train de se restaurer avec les sergents. Kaï interrompit immédiatement son repas et se précipita vers le roi : « Arthur ! s’écria-t-il, je t’ai servi longuement dans l’honneur et la loyauté. Je réclame un don de toi, et si tu ne me l’accordes pas, je jure sur mon âme que tu ne pourras plus me compter au nombre de tes serviteurs ! Accorde-moi le don de poursuivre cet inconnu, de ramener saine et sauve la reine, ton épouse, et de libérer les prisonniers qui sont sur sa terre ! »
Arthur était fort mal à l’aise. « Parles-tu sérieusement ? demanda-t-il à Kaï, sachant très bien que le sénéchal promettait toujours plus qu’il ne tenait. – Roi, répondit Kaï, je ne suis pas d’humeur à plaisanter. Un inconnu se présente, te défie et s’en va avec ta femme, et tu ne réagis même pas ! Faut-il que tu sois ivre pour agir de façon aussi lâche ! Je réclame le droit de venger l’honneur de ta cour ! » Il y eut un grand moment de silence dans l’assemblée. Arthur était au supplice, mais il ne pouvait rien contre la demande de Kaï. « Eh bien, fais ce que tu crois devoir faire », finit-il par dire. Kaï se précipita au-dehors, appela les valets pour qu’on préparât son cheval, se fit armer et, sans tarder, sauta en selle, galopant en direction du bois où attendait le chevalier inconnu avec son otage, la reine Guenièvre.
Quant à Arthur, il était resté sur son siège. C’est alors que son neveu Gauvain se présenta devant lui. « Mon oncle, dit-il, je comprends ta douleur et ta faiblesse. Laisse-moi te dire que le chevalier qui vient de te défier est pire encore que tu ne l’imagines. C’est Méléagant, fils du roi Baudemagu, qui règne en la cité de Gorre (36) . Autant le père est un homme preux et courtois, autant le fils est un tyran cruel et sans pitié qui n’a de cesse de trouver de nouvelles victimes (37) . Il est évident que Kaï ne pourra triompher de lui. Donne-moi la permission de le suivre et d’agir pour le mieux afin d’épargner à la reine le sort qui l’attend. Et ordonne à tes chevaliers de partir eux aussi pour en finir avec cet odieux
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