Lancelot du Lac
fracas épouvantable. Des lattes du toit, jaillit comme la foudre, le fer en avant, une lance qui sembla transpercer les flancs de Lancelot mais ne réussit en fait qu’à coudre la couverture aux draps blancs de son lit. Un pennon pendait à la lance, et c’était une banderole de feu. La flamme, en un instant, gagna la couverture, les draps et les bois, tandis que le fer de la lance vibrait encore après avoir frôlé le flanc du chevalier sans lui faire d’autre mal qu’une simple éraflure. Lancelot cependant s’était dressé et levé promptement et avait réussi à éteindre le feu, saisissant la lance avant de la jeter au milieu de la salle. Cela fait, il se recoucha et se rendormit tranquillement, comme si rien ne s’était passé.
Au petit matin, la Dame de la Tour envoya réveiller ses hôtes. Ils assistèrent à la messe, puis le chevalier, qui était monté dans la charrette, se pencha rêveusement par une fenêtre où la vue dominait les prés. Quant à Gauvain, il devisait près d’une autre, en compagnie de la Dame. Tout à coup, ils aperçurent un étrange cortège le long de la rivière qui bordait la prairie. Des valets portaient une civière sur laquelle gisait un chevalier en armes, escorté par trois jeunes filles poussant des cris désespérés. Venaient ensuite des hommes d’armes, puis un chevalier de haute taille en compagnie d’une dame d’une merveilleuse beauté. Lancelot la reconnut aussitôt : c’était la reine, qu’il ne cessa de contempler, au comble de l’extase, aussi longtemps qu’il le put. Mais quand elle eut disparu, il voulut basculer dans le vide et s’était déjà glissé à demi hors de la fenêtre lorsque Gauvain le rattrapa, le tira en arrière et lui dit : « Seigneur, de grâce, ne fais jamais pareille folie ! C’est bien à tort que tu sembles haïr ta vie !
— Mais non ! intervint la Dame de la Tour, c’est à bon droit ! Un homme qui est traîné dans la charrette ne peut espérer que déchéance et malheur ! Quel crime a-t-il donc commis pour en arriver là ? »
Pourtant, la Dame qui se montrait si hargneuse envers Lancelot lui donna un cheval et une lance en témoignage de sympathie et de bon accord. Gauvain et Lancelot prirent tous deux congé de leur hôtesse et s’en allèrent du côté où s’était éloigné le cortège qu’ils avaient vu passer. Mais, en traversant les rues de la ville, ils ne rencontrèrent personne et ils n’entendirent aucun cri de haine ou de raillerie.
Ils chevauchèrent longtemps sans pouvoir rejoindre ceux qui emmenaient la reine. Rencontrant une jeune fille à un carrefour, ils la saluèrent et la prièrent de leur indiquer dans quelle direction la reine avait été emmenée, si toutefois elle le savait. La jeune fille leur répondit : « Si je pouvais obtenir de vous suffisantes promesses, je saurais vous montrer le bon chemin et vous nommer la terre où va la reine, et aussi le chevalier qui la conduit. Mais je vous avertis qu’il faudrait une endurance extrême à celui qui voudrait entrer dans ce pays. Avant d’y parvenir, il souffrirait mille douleurs !
— Jeune fille, dit Gauvain, par le saint nom de Dieu, je te promets sans restriction tout ce que tu voudras : je me mettrai à ton service aussitôt que tu en exprimeras le désir, de tout mon pouvoir. Dis-nous la vérité ! » Et Lancelot fit de même, assurant à la jeune fille que, sans hésiter ni craindre quoi que ce fût, il promettait d’accepter toutes ses conditions. Alors, la jeune fille leur dit : « Par ma foi, gentils seigneurs, sachez que c’est Méléagant, un gigantesque chevalier, le fils du roi de Gorre, qui l’a prise et conduite en un royaume où tous les étrangers, sans pouvoir revenir, sont contraints de rester dans la servitude et l’exil.
— Où est cette terre ? demanda Lancelot. – Vous le saurez bientôt. Mais votre route sera semée d’embûches et de périls, sachez-le bien. Ce n’est pas chose aisée d’entrer dans ce pays sans le congé du roi qui est Baudemagu, père de Méléagant. L’accès n’est possible que par deux passages. L’un est le Pont sous l’Eau, car il est immergé en plein courant. Sous ce pont, la profondeur de l’eau se trouve égale à sa hauteur au-dessus de lui. Rien de moins par ici, rien de plus par là : il est exactement au milieu. Ce passage est pénible, mais ce n’est pas le plus dangereux. L’autre pont est le pire : on ne l’a jamais franchi, car
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