L'ange de la mort
non loin de lui ? Pourtant, une certaine réalité existait bien là, même si ce n’était que la réalité du mal. Il lui était difficile d’admettre que cette cathédrale, fondée sur les ruines d’un temple romain, était vraiment un endroit sacré. Après tout, un prêtre n’y avait-il pas été assassiné, frappé au moment où il se préparait à rencontrer le Christ ? Ne fallait-il pas y voir un terrible jugement divin ? Et quel jugement, plus terrible encore, attendait ceux qui avaient organisé un crime aussi abominable ?
Il sursauta en entendant un bruit venant du mur, au fond du choeur. Il dégaina son poignard, dissimulé sous sa cape, et s’avança à pas de loup, le coeur battant à tout rompre, la bouche si sèche que sa langue se raidissait ; le grattement semblait provenir du mur lui-même. Trempé de sueur, Corbett y plaça précautionneusement la main et tâtonna jusqu’à l’endroit d’où était sorti le son, mais soudain ses doigts hésitants furent agrippés par une poigne d’acier glacée. Il leva son autre main, mais sa paume luisante de sueur laissa tomber bruyamment le poignard sur les dalles. Il essaya de maîtriser l’épouvante qu’il sentait monter en lui, mais lorsqu’il vit un rai de lumière apparaître dans le mur, il ne put retenir un gémissement de terreur. L’une des gargouilles grimaçantes des chapiteaux, l’un des diables en pierre, aurait-il soudain pris vie et glissé, tel un serpent, jusqu’à cet endroit maléfique pour se saisir de lui ? Il allait hurler de panique lorsqu’il perçut le son d’une voix :
— Es-tu envoyé par Dieu ou par le Malin ? murmurait-elle par la fente lumineuse.
— Par Dieu ! Par Dieu ! s’écria-t-il en tentant de se ressaisir.
Il avait oublié l’existence du reclus. Celui-ci avait dû l’entendre pénétrer dans le choeur et Corbett s’était laissé prendre à son piège. « Est-ce lui le meurtrier ? » pensa Corbett, affolé.
— Lâchez-moi ! rugit-il. Par Dieu, si vous ne me lâchez pas, je vous poignarde !
— Ton arme est tombée, chuchota-t-on. Mais je ne te veux pas de mal. Je vais te lâcher !
Corbett fut libre, tout d’un coup. Il se recula d’un bond, trouva son poignard à tâtons et fit lentement quelques pas en arrière.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il en direction du rai de lumière qui jaillissait de la pierre.
— Je suis un homme de Dieu, répondit la voix. Je m’appelle Thomas. Cela fait dix ans, non, quinze, que je vis ici. Toi, tu es le scribe du roi !
— Comment le savez-vous ?
— Je t’ai vu ce matin quand le doyen est mort, tu as traversé le choeur à plusieurs reprises à toute allure ! Oh ! tu es un homme du monde, toi, toujours au courant de ce qui se passe ! Comment est-il mort ?
Corbett rengaina son poignard et tenta de réprimer le tremblement de ses membres :
— Il a été assassiné... Comme vous ne l’ignorez pas ! N’est-ce pas vous qui avez clamé que l’Ange de la Mort était présent ? persifla Corbett pour inciter l’autre à parler. Comment le saviez-vous ?
Le rai de lumière sembla disparaître et Corbett, concentrant son regard dans l’obscurité, distingua vaguement deux yeux souriants derrière la fente du mur.
— Je n’ai pas eu de vision, reprit la voix en gloussant. Si tu avais vu, scribe, ce que j’ai vu ici, alors tu saurais que ce n’était qu’une question de temps avant que Dieu n’envoie son ange accomplir sa terrible vengeance.
— Pour quelle raison ?
— La raison ?
Le ton se fit suraigu.
— Ces chanoines, ces prêtres, avalent les trois quarts de la messe : le Diable doit ramasser ce qu’ils omettent du service divin pour remplir sa hotte, et quand ils mourront, ils passeront l’éternité à célébrer les messes qu’ils ont bâclées, les prières qu’ils ont sautées, les sermons qu’ils ont oubliés. Ils débitent à la hâte la parole de Dieu comme l’on déverse des ordures dans une fosse ! Et les vies qu’ils mènent ! Tu as vu les catins ?
Corbett se souvint de la dame qu’il avait aperçue au bas des marches du choeur.
— Oui ! J’ai aperçu une femme.
— Une catin ! corrigea la voix. Celle de Montfort.
— Vous voulez bien parler du prêtre qui est mort ?
— Du prêtre qui a été assassiné, tu le sais bien, précisa le reclus d’un ton ferme. Je suis au courant. J’ai beau vivre ici, prisonnier de la pierre – et je le fais volontiers en
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