L'ange de la mort
dans la gourde le même poison qu’a bu Montfort pendant l’office divin.
— Me croyez-vous capable de verser du poison dans du vin ? s’exclama le monarque.
— Non, Sire, mais quelqu’un s’en est chargé pour faire croire à votre culpabilité. Qui sait, peut-être Bassett ?
Le roi fit un signe de dénégation.
— Bassett ne ferait rien, même pas respirer, sans un ordre venant de moi, lança-t-il d’un ton tranchant. Mais vous, Corbett, est-ce là votre avis ?
— Non, Sire.
— Pourquoi ?
— Parce que Montfort a absorbé un poison très violent. Comme je vous l’ai dit, il est mort en quelques minutes. Or la gourde avait été ouverte la veille.
— Il aurait pu boire le vin juste avant la messe.
— Non, Sire. Vous oubliez la règle canonique qui veut que celui qui communie ou célèbre la messe ne doit ni manger ni boire après minuit.
Le roi haussa les épaules. Certains ecclésiastiques de sa connaissance se gardaient bien de faire ce qu’ils exigeaient des autres.
— De plus, Sire, insista Corbett, s’il avait bu, il n’aurait jamais atteint l’autel vivant.
Le roi acquiesça :
— Donc on dirait, commença-t-il en fixant, les yeux plissés, la lueur filtrant par l’interstice d’un volet, on dirait que l’on a voulu se débarrasser de Montfort et que l’on s’y est pris de telle façon que j’apparaisse comme le coupable. Et, par ailleurs, dites-vous, il se peut que ce soit moi que l’on visait. Peut-être n’existe-t-il pas de solution ?
— Oh si ! répliqua Corbett avec conviction. S’il y a un problème, il y a une solution ! Nous devons découvrir qui a versé le poison et quand. La réponse à une de ces deux questions nous mènera à la vérité.
Le roi alla se rasseoir sur le banc, jambes écartées, tête dans les mains. Il se frotta le visage – un de ses gestes habituels – et joua avec l’une de ses nombreuses et précieuses bagues. Puis il leva les yeux vers Corbett.
— Je vous connais bien, Hugh. Vous n’êtes pas venu jusqu’ici pour m’exposer des évidences. Vous voulez me poser une question bien précise, n’est-ce pas ?
— En effet, Sire.
— Alors, allez-y, pour l’amour de Dieu ! rugit le monarque.
Corbett prit sa respiration.
— Je ne crois pas que l’on puisse imaginer, Sire, que vous avez empoisonné le vin envoyé à Montfort, mais on peut se demander pourquoi vous lui avez fait parvenir cette gourde.
Le roi répondit, avec un haussement d’épaules :
— Un cadeau, un gage de réconciliation.
Corbett se leva et approcha un tabouret de son maître :
— Sire, vous savez que je suis un serviteur loyal de la Couronne.
Édouard lui lança un coup d’oeil méfiant.
— Sire, répéta le clerc, je vous assure que je suis un serviteur loyal, mais si vous voulez trouver la vérité, je vous prie respectueusement de me dire la vérité ! Vous détestiez les Montfort. Vous haïssiez le doyen de St Paul, qui allait condamner votre projet de taxation devant l’Église d’Angleterre réunie. Ses paroles auraient été rapportées au pape à Avignon, au roi Philippe à Paris, aux archevêques et évêques d’Écosse et du pays de Galles. Alors pourquoi lui avoir envoyé ce vin ?
Corbett s’humecta les lèvres.
— Ce n’était pas en vue de le soudoyer, bien sûr, pas un homme du statut de Montfort ! Il aurait fallu toute la richesse d’une abbaye pour corrompre quelqu’un comme lui !
Le roi sourit.
— Vous êtes perspicace, Corbett. Quelquefois trop...
Il se leva et se mit nerveusement à faire les cent pas dans la pièce.
— Mais vous vous trompez ! Montfort n’allait pas me critiquer. Je l’avais déjà suborné, en fait, déjà « acheté ». Dans son homélie, il n’allait pas attaquer les revendications de la Couronne sur les revenus de l’Église, mais les défendre.
Le monarque s’interrompit pour observer l’ébahissement de Corbett.
— Vous voyez, Hugh, vous vous considérez probablement comme un honnête homme, un incorruptible. Vous commettez l’erreur de croire que les autres agissent ou pensent comme vous. Mais il n’en est rien.
Le souverain fit tinter les pièces dans l’escarcelle qui se balançait à la ceinture dorée, rehaussée de pierres fines, qui lui enserrait la taille.
— De l’or et de l’argent, Corbett. J’ai suborné Montfort moitié avec des dons, moitié avec des menaces.
— Et le vin ?
— Le vin, c’était pour
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