L'année du volcan
d’avoir à engager les recherches prévues, notamment sur l’origine des pétards dont les vestiges avaient été recueillis dans le box de Bucéphale. Il monta dans le cabriolet qui partit au galop, accompagné des cris du cocher hurlant à pleine voix « Gare ! Gare ! », puis ferma les yeux sans se préoccuper outre mesure du train d’enfer de son équipage. Sa hantise était telle qu’elle rédimait son habituelle censure des excès des voitures dans les rues de la ville. Sa main chercha sur son habit le petit reliquaire que lui avait remis, au carmel de Saint-Denis, Madame Louise. Il en éprouva du réconfort. Cet objet qui lui avait sauvé la vie irradiait un apaisement et une sérénité dont il ressentait les effets.
Il tenta de mettre ses idées en ordre. Soit, une menace pesait sur les siens. Il frémit à cette pensée : cette formule n’intéressait que lui-même et Louis. Que la rumeur éclate, face au scandale, il remettrait sa charge au roi et irait cuver son chagrin à Ranreuil. Ce retrait, il en avait éprouvé à plusieurs reprises la tentation, il le supporterait aisément. Mais pour Louis, c’était une vie gâchée, une carrière compromise, et licence offerte à la meute hurlante de se précipiter sur le gibier. Cette idée le fit frémir et le désespéra. Elle en fit naître une autre, aussi effroyable : si tout était rendu public, Antoinette à Londres risquait d’être démasquée dans son rôle si particulier d’espionne française au sein du Service anglais. Alors sa vie même serait en grand péril.
Il gagna Versailles après avoir hésité à s’arrêter à Fausses-Reposes à l’Hôtel d’Arranet. Il n’était pas assuré d’y trouver Aimée, peut-être de quartier à Montreuil auprès de Madame Élisabeth, sœur du roi. Au château il rencontra dans l’antichambre des appartements Mme Campan, femme de chambre de la reine. Il la trouva agitée et lui en demanda la raison. Une vieille intimité autorisait qu’elle lui parlât en sincérité.
— Monsieur le marquis, tout va à vau-l’eau ce matin et se bouscule sans ordre. La reine n’a point déjeuné dans son lit et a renvoyé les petites entrées. Après son lever et la toilette, Sa Majesté a revêtu un manteau de lit et rejoint la comtesse Jules dans son appartement, celui qui se trouve en haut du grand escalier. Sans blanc, ni rouge ! Songez ! Elles ont resurgi peu après et, pour l’heure, se tiennent enfermées avec Mme Diane de Polignac. La reine a annulé la toilette de représentation et les grandes entrées.
— Las, madame, il me faut pourtant voir la reine au plus vite. Pourriez-vous me faire annoncer ?
Campan eut un mouvement de tête de surprise et de quasi-scandale.
— La chose est impossible pour le moment, je le crains. Votre insistance ne pourrait qu’être importune.
— Je puis vous garantir, foi de gentilhomme, que Sa Majesté vous reprochera de ne point avoir signalé ma requête. Si j’insiste, c’est que la raison en est grave.
Elle le regarda au fond des yeux un long moment et, sans un mot, se dirigea vers la porte des appartements. Elle revint peu après avec un huissier de la chambre qui invita Nicolas à le suivre. Il fut introduit dans le grand cabinet intérieur, principale pièce de l’appartement de la reine. Il s’y trouva seul. Il avait maintes fois eu l’occasion d’y pénétrer et il fut heureux d’y admirer les aménagements les plus récents. Marie-Thérèse ayant légué à sa fille un ensemble de boîtes précieuses, la reine avait choisi de les présenter dans une vitrine de laque et de bronze doré. La Savonnerie avait fourni un tapis à fond blanc décoré d’arabesques et de guirlandes de fleurs avec des parasols chinois à chaque angle. Il remarqua un secrétaire et une commode tout récemment installés quand un froissement le fit se retourner. Entrée sans bruit dans le cabinet, la reine, en chenille, le regardait. Il s’inclina. Elle répondit à son salut et, au lieu de s’asseoir, demeura debout devant une encoignure encadrée de deux lambris en frises athéniennes flanquées de sphinges. Se sentait-elle protégée en se tenant ainsi presque réfugiée dans cet angle ? Il fut frappé de l’angoisse qui se lisait sur son visage fatigué. Était-ce l’absence de fards, il ne retrouvait rien de la beauté tranquille qui l’avait reçu la veille à Trianon. En quelques heures tout avait basculé, pour lui et, à bien y
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