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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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consterné de ne pas distinguer la marque du vice-roi parmi les oriflammes flottant aux mâts de la caraque. La délégation de bienvenue rapporta en hâte et grand secret que les instructions royales n’avaient pas été décachetées, car l’ordre était de les ouvrir à Goa selon la procédure au monastère de São Francisco de Assis. L’archevêque exerçant l’intérim fut trop heureux d’annuler le dispositif protocolaire. Bien qu’il fût le remplaçant du comte da Feira en tant que commandant de la flotte, le capitaine-major ne pouvait en aucun cas prétendre à un cérémonial exceptionnel. Les conseillers de dom frei Aleixo convainquirent finalement l’archevêque de ne pas ternir la fête de l’arrivée de la flotte, quitte à en adapter l’ordonnance aux circonstances. Les centaines de spectateurs accourus à bord d’une nuée d’embarcations ne feraient pas la différence entre les personnalités d’un niveau olympien vues de loin. Mieux valait qu’ils ignorent quelques heures encore la nouvelle alarmante qu’ils n’avaient toujours pas de vice-roi quand se multipliaient les importunités des Hollandais et de leur allié Raj Bongoen, le sultan de Johore.

    Bien que pavoisés à outrance, les quatre navires rescapés étaient peu en comparaison de la grande escadre attendue mais on avait l’habitude à Goa de l’arrivée les unes après les autres des nefs ayant échappé aux tempêtes et aux récifs assassins. D’ailleurs, trois galions étaient déjà au mouillage depuis plusieurs mois : Nossa Senhora da Conceçào , Sào Joào Evangelista et São Marcos . Pas mécontents d’avoir devancé le capitaine-major et de le faire savoir, leurs canons tiraient des salves de retrouvailles à en chauffer au rouge, entraînant un feu roulant enthousiaste des forts de l’Aiguade et des Reis Magos. En des temps moins festifs, leurs feux croisés interdiraient au besoin l’estuaire aux Hollandais mais l’heure était au défoulement. Loin de la rigueur mesurée des saluts protocolaires au départ de Lisbonne et des mesquineries de Mozambique, il était clairqu’ici, on se faisait plaisir en ignorant les restrictions et les règlements.

    Le succédané de vice-roi continuait donc à tourner sur lui-même dans le vacarme et la fumée, assis bêtement sur sa chaise suspendue par une poulie au bout de vergue tribord du grand mât. Après l’avoir soulevé dans les airs et transféré par-dessus le plat-bord par le jeu subtil de leurs palans, les gabiers attendaient, pour le laisser descendre main sur main, l’ordre du gardien décontenancé par la rotation intempestive de dom Cristóvão. Son vertige étant aggravé par le tournis et l’odeur de la poudre, il leva les deux bras en criant que l’on mît fin aussitôt à cette situation grotesque. Semblant balayer l’assistance et la flotte d’un geste noble en forme de salut circulaire et collectif, il retrouva d’un coup sa dignité et la sympathie de la foule qui l’applaudit à tout rompre.
    — Quel talent ! murmura Jean, tandis que le capitaine-major disparaissait enfin, descendant par saccades vers la galiote accostée à tribord, dont les pommes des mâts pavoisées aux couleurs portugaises pointaient au-dessus du plat-bord.

    Margarida quitta elle aussi le navire. Parmi les dignitaires montés à bord au mouillage de Panjim avec le gouverneur de la place et les inspecteurs de la douane, un homme cachant un début d’embonpoint sous un maintien rigide avait été annoncé comme l’intendant de l’arsenal des galères. Dom Alvaro de Fonseca Serrão venait accueillir sa belle-sœur en deuil et prendre du même coup possession de sa fiancée. Malgré un léger empâtement, son visage prolongé en pointe par une barbiche poivre et sel restait fin. Son allure reflétait une noblesse de longue date qu’une moue méprisante affichait comme un ordre de chevalerie. Sous sa peau d’aristocrate tannée par cinq siècles dédiés au service du Christ et du roi, une décennie d’intrigues de cour et trente mois de fonctions en Inde, son regard brillant trahissait un homme sensible, ordinaire, sous le masque figé des fidalgos de haute lignée.
    Dona de Fonseca Serrão fut descendue précautionneusement dans une manchua, une galiote de plaisance à six rameurs noirs en livrée orange et bleue, dont l’arrière était couvert d’un tendelet brodé de soie. Trois femmes en grandes robes passées sur des corsages amples d’une très fine

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