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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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instinct de survie et près duquel elle se sentait sereine. Et puis il y avait cette impression étrange, quand il avait tressailli à son contact au moment où elle s’attendait à mourir dans l’Atlantique Sud.
    *
    Par une nuit pas plus chaude qu’une autre, un vent d’enfer arracha brutalement les gonds de la fenêtre qui traversa la chambre et éclata sur la cloison d’en face, éparpillant des fragments de verre comme une gerbe d’embruns. Dans l’ouverture béante une lune toute ronde éclairait alentour des squelettes vêtus de bure. Les moines hilares branlaient à toute volée des cloches de papier que leurs battants crevaient en silence et dont les lambeaux s’envolaient en tous sens au vent. François entra alors, vêtu d’une cape noire, volant derrière un astrolabe flamboyant qu’il brandissait comme s’il cherchait son chemin vers elle. Elle comprit qu’il allait mettre un terme à cette fantasmagorie. Le quadrant du Français se transforma en un bouquet de fleurs dorées qu’elle ne pouvait identifier car elles appartenaient à des espèces qu’elle n’avait jamais vues mais qui étaient très belles. Il les lui offrit galamment enmettant un genou à terre et elle ne sut qu’en faire puisque, hormis François, tout était contrariant dans cette nuit déplaisante. Elle ne trouvait fébrilement à portée de main qu’un désordre de vases en verre emplis de sable. L’aidant à atteindre plus loin, à bout de bras, une cruche inespérée d’où suintait de l’eau fraîche, il se pencha sur elle. Le velours de son ample vêtement lui caressa les seins, excitant ses aréoles et lui creusant les reins. Prise sous lui comme elle était d’habitude sous Fernando, elle s’effraya de sentir grandir en elle une vague impérieuse dont elle n’avait aucune expérience. Elle explosa. Elle se réveilla en sursaut, inondée de sueur, dans la nuit assez fourbe pour déclarer ne se souvenir de rien. Complice, la lune à travers la fenêtre lui confirma discrètement qu’elle n’avait pas rêvé, puis elle se cacha derrière un nuage car elle mentait effrontément.

La messe de minuit fut concélébrée par le curé doyen de Mozambique, le provincial des Augustiniens et les chapelains des navires dans le délabrement de la Miséricorde, débarrassée pour l’occasion des décombres de sa toiture et à peu près nettoyée, sauf l’odeur tenace de feu et les traces de l’incendie qui l’avait ravagée. La ferveur retrouvée de paroissiens qui ne pratiquaient pas – ou plus – beaucoup était telle que des centaines d’assistants durent se contenter d’entendre du dehors les chants qui s’échappaient de la nef à ciel ouvert au-dessus de laquelle brillait la croix du Sud.

    La dernière semaine de janvier fut consacrée par maître Bastião et maître Martinho à enverguer les voiles. On put alors commencer sous bonne garde le chargement des défenses d’éléphant, des caisses de bézoard et des bourses de poudre d’or en dépit des tergiversations et des menaces du gouverneur que le chirurgien-major vidait de son sang et remplissait de potions calmantes. Le vent instable et mou passa au sud, hésita quelques jours puis s’y fixa, encore faible mais assez constant pour annoncer qu’il s’établissait. Le signe avant-coureur du retour de la grande mousson fut perçu avec une allégresse entretenue par la mise en perce des derniersfûts de vin de Porto. L’ordre de se préparer à l’appareillage fut donné le 15 mars 1609, un an à deux semaines près après le départ de Lisbonne, déclenchant dans une bousculade pire qu’au Restelo le rembarquement des passagers après six mois stériles à Mozambique. Un marchand d’écaille et de nacre à qui le pied manqua en escaladant l’échelle du Sào Bartolomeu tomba à la mer et fut dévoré par un requin qui lui enleva un bras puis l’autre. Ses débris furent ramenés à terre où cet accident fâcheux obligea le chirurgien-major et le curé doyen à corriger en maugréant l’état des décès qu’ils venaient d’arrêter et de cosigner. Le signal d’appareillage général fut hissé le lendemain.

    Une salve d’adieu déclenchée sans qu’il en ait donné l’ordre mit le capitaine-major en fureur. D’autant plus que la citadelle eut la discourtoisie de n’y pas répondre. Le maître canonnier fut envoyé aux fers et le silence retomba sur Mozambique. Une palme sèche et roussie poussée par une bouffée de vent du sud

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