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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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assassiner aussitôt par leurs sbires.
    — Je les attends les unes et les autres.
    — François ! Ne te laisse pas enivrer par l’euphorie de cette arrivée en triomphe ni par tes connaissances que tu crois utiles.
    — Je viens de vivre comme toi une aventure fabuleuse. J’en sors forcément mûri.
    — Je t’accorde que ni le plus brave des capitaines ni le plus érudit des docteurs dieppois ne comprendraient ce que tu as vécu. Tu as acquis une nouvelle assurance. Fais attention. Àpeine auras-tu mis le pied à terre, que tu seras dans un environnement dangereux.
    — Je vais serrer mon passeport sur moi, hors de portée des...
    Jean le coupa.
    — Je ne parle pas des voleurs à la tire. Tu seras tout à l’heure un intrus suspect. Essaie de te faire transparent.
    Des brancardiers prirent Jean en charge.
    — Tu me visiteras sans difficulté à l’hôpital qui est, me dit-on, largement ouvert aux parents et amis. Prends garde à toi. À nous revoir en Inde. Adeus !

    Cela faisait deux fois qu’on le mettait en garde en deux jours, et François s’en agaça un peu. Les cloches s’étaient tues, laissant monter le brouhaha de la foule égratigné par les cris d’alerte des portefaix, sous le continuo du bruissement des palmes des cocotiers. Le vent de mer s’était renforcé, donnant vie aux voiliers sur le fleuve. Il portait jusqu’à lui des coups sourds cadencés venant du chantier naval. Et toujours cet air parfumé d’épices et de fleurs inconnues, fluide, insistant et tiède, voluptueux, dans lequel ils avaient pénétré. Pérola do Oriente , Roma de Oriente , Goa Dourada  : il savait qu’aucun qualificatif n’était assez beau ni assez fort pour décrire cette nouvelle merveille du monde. Il confia la garde de leurs coffres au sergent qu’il avait fini par trouver dans l’effervescence qui agitait le navire et alla prendre congé de maître Fernandes.
    Le pilote-major l’accueillit avec une amitié sous laquelle perçait une légère émotion. Depuis leur rencontre imprévisible, leurs relations professionnelles avaient tissé entre eux des liens intellectuels, renforcés par leur appartenance au petit cercle des adeptes de la navigation par les étoiles. Joaquim Baptista sortit de son coffre un objet empaqueté de velours noir, le posa sur la table et le déballa avec précaution. C’était la croix tordue par la foudre du padrào de Bartolomeu Dias.
    — Nous sommes peu nombreux à vouer encore un culte aux navigateurs qui ont défriché la route en silence avant de céder la place aux conquérants bruyants de l’empire et aux négociants avides qu’ils ont attirés derrière eux.
    — C’est vrai que j’ai vécu cet instant avec intensité.
    — Nous l’avons vécu tous les deux avec la même émotion. Toi, un étranger, tu fais curieusement partie des rares admirateurs attachés à accomplir le devoir de mémoire qu’ils méritent. Cela vaut à mes yeux tous les passeports. J’espère pouvoir te rendre service en souvenir de cet instant. En tout cas, je ferai de mon mieux pour que tu trouves ici une occupation rémunérée pendant le temps de ton séjour. Les compas des nombreux navires, galiotes et galères stationnaires, auront sûrement besoin de tes compétences.
    Ils se donnèrent l’ abraço . François appréciait l’accolade portugaise, un geste viril de cordialité sincère dont la spontanéité le ravissait car les Normands mesurés et pudiques ne l’avaient pas habitué à de telles manifestations d’affection.
    — J’espère que mes compatriotes auront l’intelligence de ne pas se priver de tes connaissances au nom de préjugés dépassés par les événements. Bonne chance, François !

Sur le tillac, les passagers attendaient pour débarquer que les notables aient fini de quitter le bord, se pressant eux et leurs bagages dans une cohue que les soldats débordés avaient renoncé à mettre en ordre. La foule excitée parlait à la fois haut et fort comme si elle se libérait en hâte de tout ce qui lui restait à dire avant de se remplir la tête d’une nouvelle mémoire.

    François Costentin posa le pied sur le sol indien le samedi 16 mai 1609 sur les six heures du soir. L’étrange était qu’il n’avait rien à faire là, ni aucun endroit précis où aller. À l’exception de son passeport et d’une pièce de dix sols, il n’avait rien sur lui. D’où il se trouvait, il ne voyait pas plus loin que quelques têtes dans la

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