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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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inattentifs à exécuter ses ordres. Le premier évêque de Goa, João d’Albuquerque, avait ordonné lui-même le procès de son vicaire pour incapacité. Il avait besoin d’un encadrement énergique. Son diocèse s’étendait sur la moitié de la Terre, du cap de Bonne Espérance jusqu’en Chine.
    Jean revint à la charge, au désespoir de François qui lui lança un regard réprobateur.
    — J’oubliais ! Il est notoire que vous faites travailler des esclaves dans vos propriétés agricoles.
    — Quoi encore ! Il est exact que nous gérons des cocoteraies dont nous tirons des ressources significatives. Les esclaves sont la main-d’œuvre universelle des empires ibériques. Les nôtres servent Dieu. Cela dit, je te signale, puisque les cocotiers t’intéressent, que c’est nous qui avons développé et encouragé leur plantation et leur exploitation. L’ Arte Palmarica , un traité qui fait référence, a été écrit par un de nos frères. Tu devrais le lire plutôt que les pamphlets contre nous.

    Au moment où ils sortaient de la maison professe sur le parvis du Bom Jesus, raccompagnés jusqu’au seuil par Antão, un attroupement encombrait l’avenue plantée de palmiers séparant la basilique et São Francisco de Assis. Ils s’approchèrent tous les trois dans la foule qui confluait, curieux d’un événement méritant un tel intérêt. Des officiers à cheval encadraient une cohorte de portefaix dans un brouhaha de cris et de gesticulations. Trois éléphants avaient traîné jusque-là les mâts d’une bigue de levage. On venait de la dresser avec leur aide près du palais épiscopal, auquel était accolée la future cathédrale en construction depuis près d’un demi-siècle, sans doute parce que l’Église avait des chantiers plus urgents dans les nouveaux territoires.

    Suspendues horizontalement à des bambous de fort diamètre portés sur l’épaule par deux files de cinq esclaves, des pièces de ferronnerie progressaient lentement depuis la Ribeira et arrivaient sur le plateau. François reconnut les quatre grilles qui avaient perturbé l’aiguille marine de Nossa Senhora do Monte do Carmo . Elles allaient achever de clore la cour carrée sur laquelle donnait le grand escalier couvert conduisant à l’antichambre de la salle d’audience des archevêques. Antão leur fit remarquer que l’aigle bicéphale qui décorait ces œuvres d’art allait afficher au cœur de Goa le symbole de l’ordre des augustiniens dont Aleixo de Meneses portait l’habit. Juste en face de celui des jésuites.
    — Longtemps après la fin de son épiscopat, l’aigle à deux têtes narguera encore les paulistes. Et tu nous dis orgueilleux et éperdus d’hégémonie ! Je te prends à témoin que les ordres amis ont pris modèle sur les jésuites.

    François revit la timonerie de la caraque, le jour où il avait découvert les grilles de fer qui faisaient aujourd’hui le spectacle. Quand était-ce ? Début juillet, au moment du virage devant le Brésil. Presque un an. Le petit Simào rabougri et son chiffon sale autour de son doigt blessé. Un simple timonier s’étant fait écraser l’index par une ferraille à la gloire des augustiniens mériterait-il d’être béatifié pour son dévouement à la cause chrétienne ? Et pour être mort à Mozambique ? Mêlés dans la fosse commune, ses petits os d’homme trapu ne devaient plus être identifiables. Jusqu’au jugement dernier tout au moins. Quelle pagaille ce serait alors à Mozambique quand sonneraient les trompettes ! À moins que son corps fût resté intact. Vérifiait-on de temps à autre si une éventuelle odeur suave révélait la présence d’un bienheureux dans les charniers du vulgaire ?
    Les cris furieux d’un cornac l’avertirent qu’un éléphant marchait tranquillement vers lui en balançant sa trompe.

Le dimanche 31 mai, deux semaines après son arrivée à Goa, François franchit le porche de São Francisco de Assis pour assister, pour la première fois, à une grand-messe. À vrai dire, comme il ne travaillait pas encore à l’arsenal, les jours défilaient indéfiniment de la veille au lendemain et il n’avait pas remarqué que l’on était dimanche. Il passait là par hasard quand avaient retenti les cloches et la foule l’avait attiré. Jean, lui, avait entrepris ce matin-là de sortir de la ville par le quartier de São Paulo et de poursuivre vers la lagune qui s’étendait au sud.
    François s’était

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